<29>gagnai rien au change. Il pérorait sur l'agneau sans tache, aussi difficile à trouver que le bœuf Apis. Il disait que quiconque goûtait de cet agneau trouvait un antidote contre les richesses, qui sont la vraie source de toutes les maladies; il en dépouillait charitablement ses enthousiastes pour se les approprier. Car, disait-il, je préfère leur santé à la mienne, je me sacrifie, comme le bouc émissaire, pour le plus grand bien de mes chers auditeurs. Pour moi, qui voyais ces tours de passe-passe avec des yeux rassis, je m'aperçus sans peine que ce fripon, avec son agneau sans tache, attirait à lui toutes les richesses d'imbéciles trop peu éclairés pour s'apercevoir qu'ils étaient trompés.

A l'autre bout de la place paraissait un homme qui avait un gros bonnet rond sur la tête; charlatan comme les autres, il guérissait ses malades par le moyen du pont aigu,a par des bains fréquents et quelques jeûnes qu'il leur indiquait; il promettait de belles houris aux âmes charitables qui nourrissaient les chiens et les chats. La fatalité entrait dans toutes ses drogues, et son auditoire était dans cet état léthargique où se trouvent ceux qui ont avalé une trop grande dose d'opium. Son Jean farine s'appelait derviche. Pour tout amusement, il tournait sans cesse sur la même place, jusqu'à ce qu'enfin il tombât comme hors de sens et sans vie; chacun lui applaudissait. Ce spectacle me rebuta par ce qu'il avait de féroce; je m'éloignai de ce théâtre, et m'approchai d'un autre. Une créature qui ne ressemble à rien y présidait; elle avait de petits yeux effilés, une barbe de chat au menton, un nez écrasé comme si on l'avait aplati exprès. Je pensais en moi-même qu'il ne fallait pas se prévenir ni pour ni contre la figure, et que le bon sens pouvait habiter dans cette tète comme dans une autre; mais mon homme me détrompa bien vite. Il distribuait des clous au peuple pour se les fourrer dans le derrière; il l'assurait que cela attirait le marasme dans ces parties, et dégageait les autres; il affirmait avec une effronterie sans


a L'Auteur parle ici du pont al sirât (le chemin, le sentier), qui, suivant les musulmans, est dressé au-dessus de l'enfer. Il est plus fin qu'un cheveu, plus affilé qu'un sabre : les élus le passeront avec la vitesse de l'éclair, avec la vélocité du vent, mais les réprouvés y glisseront et seront précipités dans le feu étemel.