<50>Sans doute que ce que mon époux a de plus rare et de plus précieux s'y trouve enfermé. Mais pouvait-elle résister à tous les ennemis qui l'entouraient? Elle était attaquée en même temps par le démon du plaisir, par le démon de la débauche, par le démon des richesses, par l'aiguillon de la curiosité. Elle ne voit ni le piége qu'on lui tend, ni quelles en seront les suites déplorables. Hélas! que pouvait opérer sur son cœur ce faible reste de la grâce suffisante, dont les trois quarts s'étaient effacés depuis son abominable mariage avec le prince des ténèbres? La grâce n'y peut plus tenir, elle l'abandonne. Dès lors l'esprit d'égarement offusque tous ses sens, et règne despotiquement sur elle. La voilà qui saisit la clef du fatal cabinet; elle y vole, elle ouvre la porte, elle y descend. Quel spectacle, juste Dieu! s'offre à sa vue! Des cadavres d'une quantité de femmes égorgées, dont le sang inondait le plancher du cabinet! Ces objets affreux l'effrayent et la consternent; une sombre et noire mélancolie remplit son âme de douleur. Le bandeau de l'illusion se déchire; à l'ivresse des plaisirs trompeurs succède le remords, le repentir et l'abattement. Dans le moment où elle se croit perdue, le ciel lui darde un rayon de la grâce versatile et trois rayons de la grâce concomitante, que son repentir avait mérités. Dès lors elle aperçoit ses crimes dans toute leur horreur. Moment terrible, qui lui montre ce Dieu jaloux armé du foudre et prêt à l'en frapper! Sans mouvement et presque sans vie, elle laisse tomber sa clef. Mais que faire? Il faut la ramasser; elle la trouve toute tachée de sang. C'est ce sang innocent répandu depuis le juste Abel jusqu'au grand prêtre Joïada;a il crie au ciel vengeance, il demande qu'Adonaï, longtemps sourd aux gémissements du peu de justes qui restent en Israël, leur envoie celui qui fait l'espérance des nations, et qui devait terrasser l'ancien ennemi de Dieu et du genre humain. Cette jeune épouse était dans un état affreux; son âme était bouleversée par l'impression de ces cadavres sanglants, par le regret de ses crimes, par le pouvoir de la grâce efficace et par l'aversion qu'elle conçoit pour Barbe-bleue. Tout éplorée, elle sort de ce séjour d'horreur. Elle veut essuyer le sang qui tachait cette clef fatale; elle
a Peut-être l'Auteur a-t-il voulu dire « jusqu'au fils du grand prêtre Joïada. » Voyez II Chroniques, chap. XXIV, versets 20 et 21.