XXVIII. CONGÉ EXPÉDIÉ AU BARON DE PÖLLNITZ, A SA RETRAITE DE BERLIN.
Nous Frédéric par la grâce de Dieu roi de Prusse (tot. titulus) confessons que le baron de Pöllnitz, né à Berlin208-a de parents honnêtes, autant qu'il nous est connu, après avoir servi notre grand-père en qualité de gentilhomme de la chambre, madame d'Orléans dans le même grade, le roi d'Espagne en qualité de colonel, l'Empereur défunt en celle de capitaine de cavalerie, le pape, de camérier, le duc de Brunswic, de chambellan, le duc de Weimar comme enseigne, notre père comme chambellan, et nous, enfin, comme grand maître des cérémonies; après avoir vu tous les honneurs, tant militaires que de la cour, s'accumuler successivement sur sa tête, dégoûté du monde et entraîné par le mauvais exemple de trois chambellans désertés de notre cour peu de temps avant lui, nous a demandé un congé honnête pour étayer et soutenir la bonté de sa réputation, ce que nous n'avons pu lui refuser, avec le témoignage de sa bonne conduite, qu'il nous demande, en faveur des importants services qu'il a rendus à la maison en divertissant neuf ans de suite le Roi notre père, et en faisant l'honneur de notre cour pendant notre règne. Ainsi nous déclarons que ledit baron n'a jamais assassiné, volé sur les grands chemins, empoisonné, coupé des bourses de force, violé de jeunes <194>filles, et noirci par des calomnies atroces qui que ce soit à notre cour; mais qu'il s'est toujours tenu à une conduite qui convient à un galant homme, ne faisant qu'un usage honnête de l'industrie et des talents avec lesquels le ciel l'a fait naître, imitant le but de la comédie, qui est de corriger le ridicule du public en le badinant, suivant les conseils de Boerhaave sur l'article de la sobriété, poussant la charité chrétienne assez loin pour faire pratiquer aux puissants cette leçon de l'Évangile, qu'il est plus heureux de donner que de recevoir,209-a possédant parfaitement les anecdotes de nos châteaux et surtout de nos meubles usés, se rendant nécessaire par son mérite auprès des personnes qui le connaissent, et, avec un esprit fort mauvais, ayant un cœur fort bon. Ledit baron n'a, de plus, jamais irrité notre colère qu'à une occasion, lorsque sa lascive impureté, passant par-dessus toutes les choses respectables, voulait profaner d'une manière impie le tombeau de nos ancêtres.209-b Mais comme dans le plus beau pays il y a des contrées arides, que les plus beaux corps ont leurs imperfections, les tableaux des plus grands maîtres leurs défauts, nous voulons couvrir du voile de l'oubli ceux dudit baron, et lui accordons à regret le congé qu'il nous demande; voulons de plus abolir sa charge,210-a pour en ôter la mémoire du souvenir d'homme, ne jugeant pas qu'aucun, après ledit baron, soit digne de la remplir.
Fait à Potsdam, ce 1er d'avril 1744.
(L. S.)
Federic.
G.-A. comte de Gotter.
208-a Voyez t. XI, p. 12; t. XIII, p. 18 et 126; et t. XIV, p. 121.
209-a Actes des Apôtres, chap. XX, v. 35.
209-b Allusion à un passage des Nouveaux Mémoires du baron de Pöllnitz, de l'an 1737, t. I, p. 6, passage que le Roi critique aussi dans les Mémoires de Brandebourg, où il dit, au commencement de la vie de Frédéric III : « On osa soupçonner l'Électrice (Dorothée) d'avoir tenté de se défaire par le poison de son beau-fils. » Voyez t. I, p. 112.
210-a La charge de grand maître des cérémonies resta en effet abolie depuis la retraite du baron de Pöllnitz jusqu'en 1824.