1. A M. ACHARD.
Ruppin, 27 mars 1736.
Monseigneur
Je prends comme une marque particulière de l'attachement que vous avez pour moi de ce que vous employez tous vos soins à m'éclaircir d'une matière de laquelle vous comprenez facilement qu'il m'importe de beaucoup d'être, non persuadé, mais convaincu.a Je trouve les raisons que vous m'alléguez très-plausibles et bonnes, et je remarque, par tout ce que vous m'écrivez, que vous êtes charmé d'avoir une âme immortelle. A la vérité, vous avez lieu d'en être satisfait, si vous appelez la pensée et le raisonnement l'âme. Votre âme vous fait beaucoup d'honneur, et vous vaut les applaudissements de tout le monde.
Mais venons au sujet de votre lettre. Je vous demande, monsieur, si vous avez une idée de ce que c'est que penser sans organes, ou, pour m'expliquer plus clairement, ce que c'est qu'une existence après la destruction de votre corps. Vous n'êtes jamais mort; ainsi vous ne savez ce que c'est que de mourir que par ce que la triste expérience ne vous apprend que trop souvent. Vous voyez que quand la circulation du sang s'arrête, et que les humeurs fluides du corps se figent et se séparent des solides, vous voyez, dis-je, que la personne est morte, qui un moment auparavant était en vie. Ce sont des choses sur lesquelles vous pouvez raisonner; mais de ce que la pensée de cette personne est devenue, et de ce que cet être est devenu, qui l'animait, il serait impossible d'en pouvoir rendre compte. Vous n'êtes jamais mort, et puisque vous vivez, l'orgueil humain, la vanité, vous
a Voyez la lettre de Frédéric à Suhm, du 27 mars 1736.