<136>jamais, et qui, en s'écoulant, abrége notre vie! Je tâche ici de profiter de chaque quart d'heure et de chaque minute. Il m'en arrive en cela comme au comte de Truchsess au sujet du vin : quand il en trouve du bon, il le savoure et en jouit lentement pour en avoir plus de plaisir. Vous savez que mes occupations sont uniquement fixées à trois objets, savoir, le service, la lecture et la musique. Voilà ce qui me tient alternativement toute la journée, hormis deux heures qu'il faut donner tant au dîner qu'à la digestion.
Je serais charmé de vous avoir pour compagnie ici; cela m'attacherait davantage dans ma retraite, et j'aurais de nouveaux efforts à faire quand il s'agirait de l'abandonner. Ce m'est une préfiguration de la mort quand un hussard vient m'apporter l'ordre de partir. Ne vous récriez point, je vous prie, sur cette comparaison; je vous la démontrerai juste en tout sens. La mort est, selon ce que disent les théologiens, une séparation de l'âme d'avec le corps, et un abandon général de tous nos honneurs, nos biens, notre fortune, et de nos amis. La liberté est mon âme; je me vois plus honoré ici qu'à d'autres endroits; j'ai des amis que je ne vois qu'ici. Ainsi la comparaison est juste; et pour la pousser encore plus, mon retour est conforme au dogme de la réhabilitation de toutes choses, et entre ce temps et mon départ, je comparais devant le tribunal d'un juge prêt à nous condamner et rétif à nous absoudre.
Vous me donnez un peu d'encens dans votre lettre, que je ne mérite pas; je m'en tiens à l'ordinaire, et j'aime mieux les caractères de Racine que de Corneille; le merveilleux approche trop du roman et de la fable. Adieu, mon cher Camas; j'attends l'occasion où je pourrai vous faire plaisir à mon tour; vous pouvez croire que ce sera à moi-même une satisfaction relative à l'estime et l'amitié avec laquelle je suis très-sincèrement,
Mon cher Camas,
Votre très-parfait et affectionné ami,
Frederic.
Mes compliments à madame.