20. AU MÊME.
Remusberg, 26 février 1738.
Mon cher Camas,
Vous vous étonnerez fort qu'une personne oisive comme je le suis soit des semaines entières sans vous répondre. J'avoue que cela paraît problématique; et que sera-ce lorsque vous apprendrez que cette personne oisive a été si fort occupée, qu'elle n'a pas eu le temps de vous écrire? Cela est pourtant vrai, et si vrai, que je me sers du premier moment vide que j'ai eu depuis plus de huit jours, pour vous répondre; ce qui vaut d'autant mieux, que je vous crois de retour chez vous, dans votre paisible et chère garnison. Ma lettre vous aurait trouvé à Berlin parmi les dissipations, les noces, les visites, et que sais-je, moi, encore? A présent, elle vous trouve tranquillement retiré chez vous; et le pis qui lui puisse arriver, c'est de vous faire quitter pour un moment un livre, pour vous faire jeter les yeux sur elle.
Le marquisa viendra ici la semaine prochaine; c'est du honbon pour nous. On est presque hors du monde, à l'exception d'une petite compagnie qui compose notre société. Je ne veux point penser à vous; cela me ferait venir des envies désordonnées de vous voir, qui n'aboutiraient à rien absolument. Je me repaîtrais l'esprit d'une agréable illusion, et il n'en serait de plus. Je serais dans le cas de ceux qui s'attendent sûrement, après leur mort, d'entrer dans un paradis turc rempli de délices et de sensualités, et qui, trépassant, ne trouveraient rien de tout ce qu'ils avaient imaginé. Les rêves ne m'accommodent guère, et plutôt que de laisser régner une vision flatteuse dans mon âme, j'en défends l'entrée à tout ce dont je ne puis m'attendre à la réalité.
On me charge de compliments pour votre femme; ajoutez-y les miens, et dites-vous tous les jours que je suis avec toute l'estime imaginable,
Mon cher Camas,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.
a Le marquis de La Chétardie, envoyé de France.