<159>Ne vous excusez point de ce que vous ne parlez que de vous-même; c'est tout ce que vous pouviez me mander de Francfort qui pût m'être le plus agréable. Votre généralb a été témoin de la joie que m'a causée le bénéfice dont le Roi vous a gracieuse, et je m'en rapporte bien sur son témoignage. J'ai trouvé un changement sensible dans l'humeur du Roi; il est devenu extrêmement gracieux, doux, affable et juste; il a parlé des sciences comme de choses louables, et j'ai été charmé et transporté de joie de ce que j'ai vu et entendu. Tout ce que je vois de louable me donne une satisfaction interne, et que je ne puis presque cacher. Je sens redoubler en moi les sentiments de l'amour filial lorsque je vois des sentiments si raisonnables et si justes dans l'auteur de mes jours. Je souhaite de tout mon cœur que vous n'ayez jamais à m'annoncer que de nouveaux bienfaits, et que je puisse, de mon côté, toujours m'étendre plus sur les louanges d'un père que j'aime naturellement, et dont les bonnes actions m'enlèvent. Je ne m'étendrai point en souhaits pour la nouvelle année; vous savez trop ma façon de penser sur votre sujet, et toutes les occasions de penser à vous vous valent de ma part tous les vœux qu'on se fait au renouvellement de l'année. Vale et me ama.
Federic.
30. AU MÊME.
Mon cher Camas,
C'est à mon grand regret que je suis obligé de chanter la palinodie. Toutes ces belles apparences de grâces, de bienveillance et de douceur sont disparues comme un songe. L'humeur du Roi s'est aigrie si fort, et sa haine contre ma personne s'est manifestée sous tant de différentes formes, que si je n'étais ce que je suis, j'aurais demandé mon congé dès longtemps; et j'aimerais mille fois mieux mendier mon pain honorablement autre part que de me nourrir des chagrins qu'il me faut dévorer ici. L'acharnement que marque le Roi pour me décrier secrètement et en public n'est
b M. de Schwerin, fait comte et feld-maréchal en 1740.