<211>ma juste valeur; je ne serais qu'un fainéant illustre, qui n'aurait pas même le mérite si connu de l'abbé de Saint-Pierre.a
Il me reste encore une petite lueur d'espérance pour ce printemps; je me flatte encore, sans trop de fondement à la vérité, de vous revoir et de vous embrasser, vous priant de me croire avec bien de l'estime,
Mon cher comte,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.
9. AU MÊME.
Berlin, 29 janvier 1739.
Mon cher comte,
L'approbation que vous donnez à ma symphonie m'est d'un prix bien flatteur; si j'étais capable de vanité, je crois que j'en prendrais à présent. Être approuvé par des ignorants n'est pas un grand avantage, car, si leurs louanges inspirent de l'orgueil, leur ignorance est comme l'antidote qui rabaisse aussitôt ces premiers sentiments; c'est la lance d'Achille,a qui fait le mal et le guérit. Mais s'entendre applaudir par une personne de goût, par un connaisseur, par un ami dont on se persuade qu'il est au-dessus de la flatterie, c'est, mon cher comte, l'épreuve la plus difficile qu'ait à soutenir l'amour-propre. J'espère cependant que vous ne me ferez pas tourner la tête pour cette fois; mais, pour éviter à l'avenir un hasard semblable, je vous prie de vouloir ajouter à
a L'abbé de Saint-Pierre (voyez t. IX, p. 36, t. XIV, p. 323, et t. XV, p. 71) dit, dans son Discours sur la différence du grand homme et de l'homme illustre, 1736 : « Un homme illustre est celui qui n'a fait que des actions éclatantes, et un grand homme celui qui n'a fait que de grandes actions de vertu. » Les trois héros de l'abbé de Saint-Pierre étaient Épaminondas, Scipion et Des Cartes. Il préférait Épaminondas à Scipion; mais il mettait Des Cartes au-dessus des deux autres.
a Voyez t. VI, p. 81, et ci-dessus, p. 171.