<264>me vois à sec, comme Boileau aux bords du Leck.a Que faire? Je me suis avisé, à ce qu'il me paraît, fort à propos, de les mener dans mon jardin, que j'ai fait illuminer entièrement, de même que le temple. J'ai fait jouer un petit feu d'artifice, et du reste je les ai régalés du mieux que j'ai pu. Comme ce sont des personnes qui font beaucoup plus de cas des êtres composés que des êtres simples, qu'ils ne connaissent pas, ou, pour parler plus intelligiblement, qu'ils ont plus de notions de leurs estomacs que de leurs esprits, je les ai mis sur le chapitre de la philosophie de Duval,b qui a fait merveilles, et leur a bourré la bedaine au non-plus. Je me suis lassé de les voir manger, et j'aurais volontiers jeûné deux jours, si j'avais pu avoir le plaisir de m'entretenir pendant tout ce temps avec mon cher Diaphane. Vous savez le cas que je fais de lui, et que je suis, comme on ne le saurait être davantage, avec une parfaite estime,



Mon cher Diaphane,

Votre très-fidèlement affectionné ami,
Frederic.

15. AU MÊME.

Berlin, ce je ne sais lequel de mai 1736.



Mon cher Diaphane,

Si le dieu Mars avait résolu de me faire faire divorce avec les Muses, il n'aurait certes pu mieux s'y prendre qu'il ne l'a fait. Une succession continuelle d'occupations puériles nous tient ici, depuis la pointe du jour jusqu'au coucher du soleil, dans une continuelle action. C'est à elle que vous devez vous en prendre de ce que je ne vous ai pas répondu plus tôt. Je profite d'un


a Allusion aux vers 19 et 20 de l'Épître IV de Boileau. Au Roi. Le passage du Rhin, 1672 :
     

Et partout sur le Waal, ainsi que sur le Leck,
Le vers est en déroute, et le poëte à sec.

b Cuisinier du Prince royal.