117. DU MÊME.
Varsovie, 3 novembre 1740.
Sire,
C'est en vain que l'on me berce encore d'espérances; c'est en vain que l'amour de la vie et les puissants attraits qu'y ajoute encore la riante perspective qui m'était ouverte cherchent à nourrir l'illusion de mon cœur par l'ardeur de ses désirs; c'est en vain, en un mot, que je voudrais me le cacher à moi-même : chaque heure, chaque instant me le fait sentir plus profondément, et m'avertit que la fin de ma vie approche. El quelque désir que j'eusse d'épargner à V. M. la douleur de cette nouvelle, s'il était possible qu'elle ne lui parvînt jamais, et ne troublât ainsi aucun instant le repos de son grand et sensible cœur, un devoir trop important et trop sacré y est attaché pour que je pusse cependant la lui cacher.
Oui, Sire, il n'est que trop certain, après bien des soins inutiles pour prolonger mes jours, je me vois enfin sur le bord de la tombe. Hélas! je fais naufrage au port. Le ciel ne permet pas que vous ayez le temps d'exécuter vos bons desseins envers moi. Sans doute que le bonheur dont j'allais jouir était trop parfait pour pouvoir devenir ici-bas mon partage, et c'est, oui, je l'espère fermement, mourant en bon chrétien et avec la tranquillité que m'inspire le témoignage de ma conscience, c'est pour m'en rendre participant dans une autre vie que le maître suprême de nos destinées va me retirer de celle-ci.
Encore peu de jours, peu d'heures peut-être, et je ne serai plus. Voilà pourquoi, Sire, je me fais un devoir et m'empresse à vous écrire encore une fois afin de vous recommander ma pauvre famille,a avant que la mort vienne glacer mon sang et fermer mes paupières. Je suis convaincu, Sire, et je meurs tranquille dans la ferme assurance que vous ne l'abandonnerez point, et que vous en aurez un soin qui répondra à l'amitié et à la gracieuse bienveillance dont vous avez daigné m'honorer dès le moment où j'eus le bonheur d'être connu de vous. Ceux que je
a Voyez ci-dessus, p. 292.