<84>fait sans femme, le cas serait complet. J'espère que la jambe du Roi se remettra bientôt, et que la saignée lui fera descendre toutes les mauvaises humeurs. Il m'a encore fait la grâce de m'écrire le plus obligeamment du monde, ce qui me prolonge toujours la vie de quelques années. Je suis ravi de savoir les peuples belgiques alarmés, et il me semble de les voir déjà, tout pâles, quitter leurs bords et leurs remparts et se réfugier jusque dans la Nouvelle-Hollande. Peut-être que je pousse la métaphore un peu loin, mais toujours ils en ont déjà formé le dessein jadis. Ce qui regarde le roi d'Angleterre, je trouve fort ridicule qu'il fasse consister l'unique amitié de deux grandes puissances dans le mariage. Il semble que sans cela il n'y ait point de salut en Angleterre. Je crois qu'on s'embarrasse fort peu de leur amitié, et, quoique leur pardonnant en généreux ennemi, l'on peut vivre sans eux.

Le prince Henri est à présent ici, ce qui me fait bien des affaires, car il est d'une vivacité terrible, et il fait de temps en temps des dégâts terribles, qui passent toujours sur mon compte. Puisque c'est à présent la dernière fois que je le vois ici, je supporte le tout avec patience, tâchant de modérer ses chaleurs et la violence de ses passions, qui, si je l'ose dire, sont mêlées de brutalité.

Je m'amuse assez à présent d'un livre nommé le Prince de Sethos,a qui est amusant et rempli de bonne morale; mais il n'est pas de la bonté de Télémaque.

Adieu, mon très-cher ami; je vous prie de me conserver toujours votre amitié, qui m'est précieuse, et de me croire, avec toute la reconnaissance et toute l'estime du monde et avec un attachement que je conserverai jusqu'au tombeau, etc.

Frederic.


a Sethos, histoire ou vie tirée des monuments anecdotes de l'ancienne Egypte (par l'abbé Terrasson). A Amsterdam, 1732. 2 volumes in-12.