48. AU MÊME.
A la garnison chérie, 10 mai 1733.
Je crois à présent, généreux Cassubien, que je sais faire plus de miracles que l'abbé Pâris,104-a étant cause de la première production de votre muse. Vous vous acquittez si bien de tout ce que vous faites, que les vers, aussi bien que toute autre chose, sont obligés de se ranger sous vos lois.
Ce n'est pas tant à la rime
Qu'à la chose qu'elle exprime
De laquelle on doit juger;
Et, pourvu que le sublime
Partout la diction anime,
L'on devrait s'en contenter.
Car, quand la vérité prime,
Nous lui devons notre estime,
Et savons la préférer
Au brillant que nous impriment
Tous les grands mots que la lime
Artistement sait ranger.
Cher ami, ton cœur sincère
Est digne qu'on le préfère
Aux vers et à la sanction;
Et, crois-moi, avec passion
Je t'aime et je te considère.
Vous voyez, cher Cassubien, que je vous rends vos strophes avec usure, et que ma muse, prompte à rimer, vole encore à mon secours quand il s'agit d'exprimer ce que le cœur pense. Vous ne seriez pas quitte à si bon marché, si le dieu Mars, ennemi des courtisans et des Muses, ne m'en interdisait l'entretien, et, que, occupé à son service, je suis, pour la plupart, obligé de négliger leur compagnie; car ces sages filles de Mémoire veulent du repos et une sécurité parfaite, que l'on ne trouve pas toujours.
J'ai reçu une lettre du souverain, qui me presse de finir nouveau contrat de bailliage. Il est arrivé par la même poste le une lettre de cachet à Rohwedell de se rendre à Berlin, ce qui me <97>fait juger que le souverain soupçonne qu'il m'a aidé, et rejette tout sur le mentor militaire, et j'avoue que je ne me fie pas.
Oui, ce sont de ces présents
Que le ciel, en sa colère,
Fait quelquefois, en bon père,
Pour corriger ses enfants.
Je ne le prends pas pour autre chose, et quoique, au dehors, il montre beau semblant, je ne m'y fie qu'en tremblant. Si le souverain me connaissait véritablement, il me déchargerait de tous ces gens de pareille race que le mentor nomme si ingénument des lions; car, comme je ne pense à nulle autre chose qu'à la tranquillité, la paix et le plaisir, à quoi bon \ouloir m'obséder de cette sorte? Car, entre nous, ce ne sera jamais mon métier que les caméralités; j'en sais autant que j'ai besoin d'en savoir, mais pour faire le prix et les taxes moi-même, l'on n'a qu'à y renoncer; il suffit que l'on s'informe, qu'on dirige la masse entière, et que le commerce ne soit pas oublié; car tout ce que l'on gagne des bailliages n'est que l'argent qui est déjà dans le pays, mais le profit que je tire du commerce est un avantage que je gagne de mon voisin, qui me remplit mes coffres, et dont le sujet partage l'usufruit. Pour l'accise, nouvellement introduite en Angleterre,105-a c'est, selon ma compréhension, un attentat contre les lois, et le premier pas pour parvenir à la souveraineté; il serait très-avantageux à Sa Majesté Britannique qu'elle fût un peu réprimée.
L'orgueil qui le gouverne, et qu'il tient de sa race,
Lui rehausse le cœur, anime son audace;
Son nom chez ses amis est en mauvaise odeur,
Et pour ses ennemis, le tiennent en horreur.
Je n'ai pu m'empêcher de lui lâcher ce petit coup de vengeance, que je lui dois, et je crois qu'il serait fort heureux, si l'orage qu'on lui prépare en Angleterre n'avait pas plus d'effet que les foudres du Parnasse. Je crois cependant que messieurs les Anglais ne seront pas mal fondés;
<98>Car le peuple et le Roi,
Par une foi mutuelle,
Ont juré sur les lois
De se rester fidèles.
Si l'un devient parjure
En déchirant ses liens,
L'autre est libre à son tour
De s'affranchir des siens.
Je crois qu'une sainte fureur m'anime aujourd'hui, et que l'esprit de Cotin106-a et de Pelletier106-a repose sur ma plume. Le peu de raison qui me reste me fait apercevoir que je suis trop prolixe, et qu'il vaut mieux me borner. Finissons donc, cher Cassubien, et permettez-moi que je vous répète en prose ce que mes vers vous ont annoncé au commencement de ma lettre, et que je vous assure que l'on ne peut avoir plus d'estime, d'amitié et de confiance que le fidèle Gouverneur a en son cher Cassubien.
104-a Voyez t. I, p. 241.
105-a Voyez, t. I, p. 190 et 191.
106-a Cotin et Pelletier doivent surtout aux satires de Boileau le ridicule indélébile qui est resté attaché à leurs noms. Voyez, au sujet de Cotin en particulier, t. VIII, p. 238.