5. AU MÊME.
Remusberg, 30 octobre 1738.
Mon cher comte,
Je suis ravi de reconnaître en vous des sentiments que la droite raison devrait dicter dans les cœurs de tous les hommes. La fainéantise et les occupations vaines paraissent être la légitime des gens de naissance; le génie, le travail, l'application, paraissent malheureusement ne convenir qu'à ceux qui veulent illustrer leur nom, et qui ne tiennent rien du mérite de leurs ancêtres, mais qui veulent se devoir tout à eux-mêmes. En effet, s'il y a quelque chose qui puisse dégrader un homme de naissance, c'est bien son incapacité, mais ce ne seront jamais ses talents. Il est sûr qu'on ne doit point négliger les devoirs essentiels, et ce serait faire un usage punissable des talents qu'on peut avoir, si on voulait leur donner plus de temps pour les cultiver qu'on n'en donnerait aux occupations solides qui en demandent beaucoup.
Vous dites très-bien, monsieur, que, pour peu qu'on soit économe de son temps, on trouve des moments pour tout. Votre genre de vie en fait foi; ce devrait être l'exemple de tant de personnes de marque qui perdent leur temps mal à propos, et qui meurent souvent sans savoir qu'ils ont vécu. Une occupation innocente peut même être regardée comme utile et comme louable, en ce qu'elle empêche ceux qui s'y appliquent de mal faire pendant ce temps. Les sciences sont d'un grand secours pour ceux <208>qui les cultivent; vous pouvez vous rappeler ce qu'en dit Cicéron,226-a ce père de sa patrie et de l'éloquence. « Les sciences, dit-il, sont le plaisir de la jeunesse, elles sont notre consolation dans la vieillesse, elles rendent la prospérité plus brillante, elles nous soutiennent dans nos malheurs; soit en voyage, soit chez nos amis, ou chez nous, dans la retraite, elles font en tout et partout le bonheur de la vie. » On en peut croire Cicéron sur cette matière : les sciences étaient entre ses mains une épée dont il avait mainte fois éprouvé la trempe; Cicéron en parlait avec connaissance de cause.
Vous voulez à toute force avoir de ma musique? Je ferai copier, pour vous satisfaire, une symphonie que j'ai faite il y a deux ans, que vos musiciens pourront exécuter, à ce que je pense. Je voudrais bien vous donner des marques plus réelles des sentiments d'estime et d'attachement avec lesquels je suis à jamais,
Mon cher comte,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.
226-a Pro Archia poeta, ch. VII. Voyez t. VIII, p. 156 et 304; t. IX, p. 205; et t. X, p. 69.