43. DE M. DE SUHM. (no 2.)
Danzig, 10 janvier 1737.
Monseigneur
J'ai mis neuf jours à venir jusqu'ici par des chemins abominables. Ce qui m'a bien restauré des fatigues de ce trajet, c'est une très-précieuse lettre de V. A. R., no 1, qui m'a été remise presque à mon arrivée.
L'engagement qu'elle prend dans ses vers, qui font son éloge bien mieux que je ne pourrais jamais réussir à le faire, de respecter toujours l'auguste vérité, ne lui fera assurément jamais de peine. Elle y est si naturellement portée, qu'elle serait obligée de se faire violence, si jamais elle devait y contrevenir. Il m'est bien doux, monseigneur, de remarquer qu'à cette occasion vous avez daigné vous souvenir de moi, et bien plus doux encore de voir que vous voulez bien compter mon zélé attachement pour V. A. R. au nombre des causes qui peuvent avoir contribué à nourrir son ardent amour pour la vérité. Les assurances, monseigneur, que vous me réitérez de vos bonnes grâces ont achevé de remplir la mesure de mon contentement; et les touchantes expressions dont vous vous servez à ce sujet font bien connaître que c'est là une manière de penser qui vous est tout à fait propre, et qui a sa source dans les nobles sentiments d'un grand cœur. Hélas! pourquoi faut-il qu'un trop cruel destin m'oblige à m'éloigner de vous à mesure que je vois augmenter le nombre des raisons qui devraient m'engager à rester?
J'ai trouvé ici presque toute la maison Czartoryski, qui m'a accablé de politesses pendant le séjour que j'ai été obligé de faire ici, ayant eu deux de mes voitures toutes fracassées en route. Le palatin de Mazovie, Poniatowski, digne et grand homme que je connais de longue main, et qui a eu occasion de connaître de grands princes, rend bien justice à V. A. R. par la grande idée qu'il s'en est faite. Le prince chancelier et moi, nous ne nous sommes presque entretenus que d'elle. Dieu sait tout ce que nous en avons dit, et plus encore pensé! Je ne serais jamais parti d'ici, si nous avions entrepris d'épuiser un si riche sujet. Ne m'accusez <311>pas, monseigneur, d'agir ici contre vos ordres et contre ma promesse; ce n'est ici qu'un simple rapport que je vous fais de ce qui s'est passé, et toute votre modestie, quelque grande qu'elle soit, ne peut imposer à deux personnes qui se plaisent à parler de vous la loi de ne point exalter les grandes et belles qualités qu'ils remarquent en vous, et qu'ils jugent tout à fait dignes de vous-même.
Je pars demain de grand matin pour Königsberg, n'espérant recevoir qu'à Pétersbourg une réponse à celle-ci. Pour ce qui regarde la souscription de la nouvelle édition des Batailles du prince Eugène et la commission touchant le manuscrit de la Vie de ce prince, dont V. A. R. m'a fait le plaisir de me charger, elle peut être assurée que je m'en acquitterai de mon mieux, désirant, par mes soins et mon exactitude à la remplir à son entière satisfaction, de mériter qu'elle me juge digne d'être chargé d'autres commissions infiniment plus importantes encore.
Je ne laisse pas, chemin faisant, de faire mes remarques sur ce que je pourrai changer pour la commodité de mon voyage, lorsqu'il s'agira de revenir. Cette époque fortunée où je pourrai me revoir aux pieds de V. A. R. est le terme où tous mes désirs et toutes mes pensées viennent aboutir. Je l'attends avec impatience, vous suppliant, monseigneur, de me conserver jusqu'à ce temps votre gracieux souvenir, et de me regarder comme celui de tous les mortels qui vous est le plus attaché par tous les sacrés liens du devoir et de la reconnaissance, etc.