57. A M. DE SUHM. (No 11.)
Berlin, 27 juillet 1737.
Mon cher Diaphane,
Il semble que tous les éléments ligués aient conspiré votre perte. L'eau a pensé vous être funeste dans votre voyage, et le feu vient de vous talonner deux fois. Avec cela le froid excessif qu'il fait en hiver, ne voilà-t-il pas de quoi vous abîmer suffisamment? Quittez donc, je vous prie, au plus vite un pays pour lequel vous n'êtes point né, et revenez dans des lieux où vous savez que votre personne est chérie.
Puisque votre destin vous fait cependant habiter dans ces lieux lointains, permettez-moi de tirer encore un usage du séjour que vous y ferez. Ayez la bonté de me répondre en détail aux points que je vous marquerai, et desquels je souhaiterais être instruit à fond. Vous aurez soin d'écarter toutes les nouvelles fausses ou incertaines, et de ne donner place qu'aux seules vérités que vous apprendrez.
Je souhaiterais savoir :
- 1o Si, au commencement du règne du czar Pierre Ier, les Moscovites étaient aussi brutes qu'on le dit;
- 2o Quels changements principaux et utiles le Czar a faits dans la religion;
- 3o Dans le gouvernement qui tient à la police générale;
- 4o Dans l'art militaire;
- 5o Dans le commerce;
- 6o Quels ouvrages publics commencés, quels achevés, quels projetés, comme communications de mers, canaux, vaisseaux, édifices, villes, etc.;
- 7o Quels progrès dans les sciences, quels établissements; quel fruit en a-t-on tiré?
- 8o Quelles colonies a-t-on envoyées? et avec quels secours?
- 9o Comment les habillements, les mœurs, les usages ont-ils changé?
- 10o La Moscovie est-elle plus peuplée qu'auparavant?
- 11o Combien d'hommes à peu près, et combien de prêtres?
- 12o Combien d'argent?
<333>Ayez la bonté de me répondre à tous ces points, et cela, sur un papier à part.365-a Si les obligations que je vous ai déjà étaient de nature à pouvoir être augmentées, ce serait par le plaisir que je vous prie de me faire. Adieu, mon cher; je suis avec une très-parfaite amitié,
Mon cher Diaphane,
Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.
365-a Frédéric posait ces douze questions à M. de Suhm à la demande de Voltaire, qui avait écrit dans sa réponse sans date à la lettre du Prince royal, du 14 ou du 20 mai 1737 : « Je me jette aux pieds de Votre Altesse Royale; je la supplie de vouloir bien engager un serviteur éclairé qu'elle a en Moscovie à répondre aux questions ci-jointes. »