NOTICE DE L'ÉDITEUR ET SUPPLÉMENT A LA CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC ULRIC-FRÉDÉRIC DE SUHM.
Ulric-Frédéric de Suhm mourut à Varsovie le 8 novembre 1740. Son frère, Nicolas de Suhm,445-a ayant annoncé au Roi cette triste nouvelle dans une lettre datée de Varsovie, le 11 novembre, en reçut la réponse suivante.
Rheinsberg, 26 novembre 1740.
Votre lettre m'a été rendue, par laquelle vous me mandez les circonstances et le détail de la mort de votre frère. J'en suis bien fâché, ayant eu beaucoup d'estime pour lui. Vous n'aurez qu'à venir à Berlin avec la famille du défunt, et j'aurai soin de vous tous.
Federic.
A Nicolas de Suhm.
A la réception de cette lettre, toute la famille de M. de Suhm partit pour Berlin, où elle arriva au commencement de décembre. Elle se composait de ses quatre enfants et de sa sœur, mademoiselle Hedwige de Suhm. Les premiers obtinrent une pension annuelle de douze cents écus, et celle-ci une de six cents. Pendant tout le temps que dura l'éducation des enfants, le Roi s'y intéressa personnellement. Dès que les trois fils furent en âge d'entrer au service, il les plaça comme porte-enseigne dans ses troupes, et leur laissa à chacun <406>leur pension de trois cents écus jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus au grade de capitaine. Frédéric ne s'intéressa pas moins à rétablissement de la fille de son ami, qui épousa, le 22 décembre 1750, le lieutenant-colonel de Keith,446-a après avoir joui de sa pension jusqu'à son mariage. Quant à mademoiselle Hedwige de Suhm, elle vécut près de trente-trois ans à Berlin, et eut jusqu'à la fin de sa vie la pension qui lui avait été accordée, et bien d'autres précieux témoignages de la bienveillance et des bonnes grâces du Roi.
L'aîné des fils, le lieutenant Ernest-Ulric-Pierre de Suhm, eut une jambe emportée par un boulet de canon à la bataille de Prague. Frédéric lui donna, au mois d'avril 1759, la place de maître des postes à Dessau, ainsi que le titre de conseiller de guerre. C'est dans sa soixante-deuxième année que M. E.-U.-P. de Suhm écrivit la lettre suivante au Roi.
Dessau, 12 mai 1785.
Sire,
Sentant approcher la fin de ma vie, je viens me jeter aux pieds de Votre Majesté pour lui demander une dernière grâce. Daignez écouter favorablement la prière que j'ose d'une voix faible élever jusqu'à vous. Les trois fils dont le ciel m'a béni sont entrés successivement depuis deux ans dans le service de V. M. Ils sont encore porte-enseigne, l'aîné dans le régiment d'Erlach, le second dans le régiment de Below, et le troisième encore surnuméraire dans le régiment du défunt prince Léopold de Brunswic. Avant que de détacher mon cœur des liens paternels, je viens m'acquitter des derniers devoirs que la nature m'imposa envers eux, je viens implorer vos bontés pour eux. Ah! laissez votre grande âme s'attendrir à la prière d'un père mourant et encore inquiet sur leur sort. Laissez-moi emporter au tombeau la douce consolation d'avoir contribué à leur bonheur jusqu'à mon dernier soupir. Daignez, grand monarque, vous souvenir d'eux dans l'occasion. Favorisez-les autant que la justice, conciliée avec votre bonté royale, pourra le permettre. Daignez les recommander à leurs supérieurs, afin que ceux-ci les exhortent à marcher dans le chemin de l'honneur et de la vertu. Enfin, si le souvenir d'un nom qui jadis vous fut cher peut être une excuse pour tant de hardiesse, <407>souffrez, grand roi, que je les remette entre vos mains paternelles pour les consoler de celles qu'ils vont perdre.
Daignez, Sire, exaucer mon humble prière, et m'en donner une consolante assurance avant, s'il se peut, que le Tout-Puissant trouve bon de me retirer de ce monde. Ce dernier bienfait du plus grand roi remplira mon âme, à la mort, de la plus douce paix, et je porterai aux pieds du Très-Haut les vœux de mon éternelle reconnaissance.
Sire, je descends dans la tombe avec les sentiments de vénération, de reconnaissance et de respect
du plus soumis et du plus fidèle sujet,
U.-E.-P. de Suhm.
A MON CONSEILLER DE GUERRE ET MAITRE DES POSTES DE SUHM, A DESSAU.
Potsdam, 16 mai 1785.
Ce n'est qu'avec bien de la peine que j'apprends, par votre lettre du 12, que vous touchez à votre dernier moment. Le nom de Suhm m'est effectivement cher. J'ai connu quelques-uns de cette famille qui se distinguaient par leur mérite, et qui s'étaient concilié mon estime. Votre père et vous-même y appartenez, et vos fils y auront également part, s'ils marchent sur leurs traces et imitent leurs exemples. Je suis bien aise de vous donner encore ce témoignage consolant avant de descendre du théâtre de ce monde, où vous avez joué le rôle d'un parfaitement honnête homme, qui est bien le plus glorieux pour les mortels. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous rétablisse encore une fois, et vous ait en sa sainte et digne garde.
Federic.
DE LA VEUVE DE SUHM.
Sire,
Une veuve en deuil se jette à vos pieds, et les baigne de pleurs. Ne dédaignez pas de jeter sur elle un regard de bonté. Le Tout-<408>Puissant a trouvé bon de retirer de ce monde, ce matin 18 mai, U.-E.-P. de Suhm, mon mari, qui, par une faveur du ciel et de V. M., desservait depuis vingt-cinq ans l'office de maître des postes à Dessau. Quelques jours avant sa mort, il a adressé une lettre à V. M. pour lui recommander très-humblement nos trois enfants, et la supplier de les prendre sous sa puissante protection. Si les larmes d'une veuve éplorée peuvent ajouter quelque poids aux derniers vœux d'un père mourant, permettez, Sire, que j'en arrose vos genoux, et que je joigne mon ardente prière à la sienne.
Vivant dans la douce espérance que V. M. daignera exaucer notre prière commune, je mourrai, Sire, avec les sentiments du plus profond respect et de la plus vive reconnaissance,
Votre très-soumise et très-respectueuse servante,
Veuve de Suhm, née Bonafos.
A LA VEUVE DE SUHM, A DESSAU.
Berlin, 21 mai 1785.
La nouvelle de la mort de votre mari, maître des postes à Dessau, m'a fait beaucoup de peine. La dernière lettre que je lui ai adressée, il n'y a guère longtemps, sur son lit de mort, vous en aura déjà prévenue. Je l'estimais pour son mérite, ainsi que pour les services qu'il m'a rendus tant dans le militaire que dans le civil, et je prends par cela même une part bien sincère à sa perte. Vos fils, s'ils marchent sur les traces de leur père, auront, en temps et heu, part à ma bienveillance et protection. Et pour vous, je vous souhaite toutes les consolations nécessaires dans votre juste douleur, priant, sur ce, Dieu qu'il vous ait en sa sainle et digne garde.
Federic.
445-a Voyez ci-dessus, p. 383 et 384.
446-a A la prière du feld-maréchal Keith, Frédéric donna, le 10 octobre 1750, au lieutenant-colonel de Keith, son aide de camp, la permission de se marier avec mademoiselle Marguerite-Albertine-Conradine de Suhm.