<152>

99. DE M. JORDAN.

Berlin, 29 février 1742.



Sire,

Je suis tout glorieux de ce que Votre Majesté daigne m'écrire et m'envoyer des vers dans un temps où elle est occupée par les affaires les plus importantes et les plus épineuses.

V. M. n'est pas, à coup sûr, en pays de connaissance quand elle est au milieu de cette cour céleste, qui n'est, ma foi, pas digne d'occuper le manoir où vous habitez. Il faut avouer que la gloire conduit V. M. par une route bien peu agréable. J'ai remarqué que tous les chemins qui conduisent à l'immortalité sont de même. Je frémis pour la santé de V. M., et je crois pouvoir démontrer en bonne logique et par de bons arguments que j'ai raison.

Je crois avoir si bien raison,
Que je me sens prêt à combattre
Sur ce sujet contre Sexte ou Pyrrhon,
Qui vous apprit l'art d'en terrasser quatre.

Je connais par mon expérience que vous en démonteriez même plus. A peine suis-je guéri des bottes de logique que V. M. me portait autrefois. Je m'en glorifie, comme saint François de ses stigmates.

Les Hollandais ont acheté le Luxembourg quinze millions. Les politiques de Berlin sont fort charmés de cet achat; ils regardent cela comme un raffinement de ruse digne d'être admiré. Les partisans de la France condamnent cette conduite; on suppose déjà M. de Fénelon faisant tapage à la Haye, et remettant les choses sur l'ancien pied.

On dit que la Gazette de Hollande marque que l'Empereur ira d'abord à Cologne pour y adorer les trois rois, dont les noms sont sûrement connus de V. M., qui n'ignore pas des faits de cette nature.

V. M. m'ordonne de bavarder; j'obéis.