153. A M. JORDAN.
Camp de Kuttenberg, 18 juin 1742.
Les palmes de la paixa font cesser les alarmes,
Au tranquille olivier nous suspendons nos armes.
Déjà l'on n'entend plus le sanguinaire son
Du tambour redoutable et du tonnant clairon;
Et ces champs que la Gloire, en exerçant sa rage,
Souillait de sang humain, de morts et de carnage,
Cultivés avec soin, fourniront en trois mois
L'heureuse et l'abondante image
D'un pays régi sous des lois.
Ces vaillants guerriers que l'intérêt des maîtres
Ou rendait ennemis, ou tels faisait paraître,
De la douce amitié resserrant les liens,
Se prêtent des secours et partagent leurs biens.
La Mort l'apprend, frémit, et ce monstre barbare,
De la Discorde en vain secouant les flambeaux.
Se replonge dans le Tartare,
Attendant des crimes nouveaux.
O Paix! heureuse Paix! répare sur la terre
Tous les maux que lui fit la destructive guerre;
Et que ton front paré de renaissantes fleurs,
Jusqu'à jamais serein, prodigue tes faveurs!
Mais, quel que soit l'espoir sur lequel tu te fonde,
Je le dis sans détour, et tu n'auras rien fait,
Si tu ne peux bannir deux monstres de ce monde.
L'Ambition et l'Intérêt.a
Ma muse, qui s'emporte quelquefois, vient de produire ces stances; l'imagination se réchauffe encore de temps en temps chez moi, lorsque les affaires dont je suis souvent surchargé le permettent. Ce sera à Charlottenbourg que je compte retrouver mon Apollon, quoique les soins et l'âge en doivent diminuer le
a Les préliminaires de la paix furent signés à Breslau le 11 juin 1742. Voyez t. II, p. 145.
a Ces vingt-cinq vers se trouvent aussi en tête de la lettre du Roi à Voltaire, du 18 juin 1742, mais avec quelques variantes.