<282>Après un voyage assez fatigant, nous sommes arrivés ici en équipage assez délabré. Nous profitons de la foire et des plaisirs qui règnent dans ces cantons. Le jour de notre départ est fixé à demain, et celui de ma retraite ne tardera guère à suivre celui de mon arrivée à Berlin.

Voilà, mon cher, pour nos occupations passées, présentes et futures. Quant à vous, je souhaiterais de tout mon cœur de vous revoir. Ma sœur peut me rendre le témoignage que je lui parle de vous aussi souvent que nous nous voyons, et que c'est toujours en des termes où la tendresse a une bonne part.

Rendez-vous supportable la situation dans laquelle votre destin vous a placé, autant qu'il vous est possible. Effacez mon souvenir de votre esprit, s'il est un obstacle à votre repos, et ne songez uniquement qu'à vous rendre aussi heureux que vous pouvez vous le figurer; c'est le parti de la sagesse, et ce doit être le vôtre. Bannissez, pour cet effet, toute idée d'exil, de patrie et de dieux pénates; entretenez-vous beaucoup avec les livres, et peu avec les gens du monde. Comme vous pouvez trouver cette antique compagnie en tout lieu, vous ne vous apercevrez pas tant du changement d'endroit que vous le feriez sans leur secours. Enfin, élevez vos pensées hors de tout ce qui leur peut donner un air mélancolique ou hypocondre.

Ce n'est pas une des Parques qui nous rend fortunés par le caprice de ses fuseaux; nous sommes nous-mêmes les artisans de notre bonheur, et ce bonheur ne consiste que dans la représentation que nous en fait notre imagination. Mettez donc, s'il vous est possible, une idée de bonheur dans la vôtre; faites régner une illusion flatteuse dans votre esprit, et contribuez à ma tranquillité en vous tranquillisant.

Je prends toujours une part bien sincère à tout ce qui vous regarde, et je suis plus que personne au monde,



Mon cher Duhan,

Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.