<71>brillant. La Minerve vient de faire sa Physique; il y a du bon. C'est König qui lui a dicté son thème; elle l'a ajusté et orné par-ci par-là de quelque mot échappé à Voltaire, à ses soupers. Le chapitre sur l'étendue est pitoyable, l'ordre de l'ouvrage ne vaut rien; il y a même de très-grosses fautes, car dans un endroit elle fait tourner les astres d'occident en orient. Enfin c'est une femme qui écrit, et qui se mêle d'écrire au moment où elle commence ses études, car quatre ou cinq ans ne sont pas suffisants pour ces matières, et il ne faut prendre la plume qu'après avoir bien digéré ce qu'on a à dire, et lorsqu'on se sent maître de sa matière. Mais lorsqu'on se mêle d'expliquer ce qu'on ne comprend pas soi-même, il semble voir un bègue qui veut enseigner l'usage de la parole à un muet. Après tout, puisqu'elle trouve du plaisir à écrire, qu'elle écrive, quoique ses amis devraient lui conseiller charitablement d'instruire son fils sans instruire l'univers, de ne point parler d'algèbre dans un livre de métaphysique, et de ne point dessiner des figures lorsqu'on peut s'expliquer clairement sans leur secours.
J'attends demain mon accès de fièvre. Je suis un peu harassé du voyage, sans avoir cependant perdu l'envie de bavarder. Tu me trouveras bien bavard à mon retour; mais souviens-toi que j'ai vu deux choses qui m'ont toujours beaucoup tenu à cœur, savoir : Voltaire, et des troupes françaises. Si je n'avais pas eu la fièvre, j'aurais été à Anvers et à Bruxelles, j'aurais vu le Brabant et cette Émilie si aimable et si savante. On en dit beaucoup de bien, d'ailleurs, et ce que j'en dis ne regarde que son livre, qu'elle aurait pu s'épargner.
Adieu, très-savant, très-docte, très-profond Jordan, ou plutôt très-galant, très-aimable et très-jovial Jordan; je te salue en t'assurant de tous ces vieux sentiments que tu sais inspirer à tous ceux qui te connaissent comme moi. Vale.
J'écris le moment de mon arrivée; ami, sais-m'en gré, car j'ai travaillé et je vais travailler encore comme un Turc, ou comme un Jordan.