9. AU MÊME.
Seigneur Jordan, on vous invite
A venir chez nous au plus vite,
Accompagné des agréments
Que vous mêlez si joliment
Dans vos discours pleins de sagesse.
Et qui plaisent également
Aux barbons et à la jeunesse.
Notre petit prêtre à rabat65-a
Vous marque son impatience;
Il veut, dit-il, votre présence
Pour célébrer un sien sabbat
Avec grande magnificence.
Son marguillier, ce petit fat,
Prétend en fredons marotiques
Psalmodier de longs cantiques
Pour amuser les auditeurs;
Ils feront bâiller les apôtres.
Qui, je crois, du goût de nous autres.
<61>Connaissent des plaisirs meilleurs.
Il est des raisons plus de mille
Pour vous faire quitter la ville.
Une grosse et jeune catin
D'accès et d'abord très-facile.
Dont vous nous avez fait le fin,
Croit qu'une beauté de Berlin,
Captivant votre cœur docile,
Vous retient chez elle sous main.
Revenez à votre catin.
Et rendez-lui le cœur tranquille.
Sans quoi nous verrons un matin
La pauvre fille, en vrai lutin,
De dépit et de jalousie
Se poignarder par fantaisie.
Pour Chasot, qui, dans son réduit,
En damné travaille sa flûte,
Qui fait enrager jour et nuit
Tous ses voisins, qu'il persécute,
D'un instrument tendre et charmant
Il tire des sons de trompette.
Wylich66-a en a mal à la tête,
Et ses voisins par conséquent;
Le fameux chantre de la Thrace
L'aurait puni de son audace.
Vous lui direz éloquemment,
D'un ton doux et d'un air bonasse :
De l'histoire de Marsyas,
Chasot, ne vous souvient-il pas?
Nos plaisirs, Jordan, vous séduisent,
Pour le coup, mes raisons suffisent,
Vous allez redoubler vos pas.
Ah! je vous vois chercher vos bottes
Et vous couvrir de ce manteau
Qui, dix ans passés, fut nouveau.
Équipage d'âmes dévotes,
Volez sur l'aile de l'Amour;
Catin Vénus vous y convie,
Elle qui veut faire à son tour
Tout le bonheur de votre vie.
<62>Cela signifie qu'on ne saurait se passer de vous à Rheinsberg : nous en avons fait l'épreuve pendant trois jours qui nous ont paru des années d'amants. Vous qui avez passé par là, vous devez savoir que ces années sont du triple plus longues que les années ordinaires; ainsi tenez-nous compte de notre impatience. La table a besoin de votre secours, la philosophie encore plus.
Nous vous attendons tous lundi au soir à Rheinsberg. Faites provision d'un fatras de bonne humeur, apportez-nous toute l'érudition de votre bibliothèque, sans en apporter la poussière, et comptez d'être reçu comme un homme qui nous est nécessaire.
65-a M. Jean des Champs. Voyez t. XIV, p. 323, et t. XVI, p. 304, 320 et 322.
66-a Frédéric baron de Wylich, capitaine au régiment du Prince royal. Il parvint dans la suite au grade de lieutenant-général, et mourut en 1770. Voyez t. II, p. 143, et t. XVI, p. 222.