124. A M. JORDAN.
Chrudim, 29 avril 1742, jour satirique, d'un soleil clair, et le premier du bourgeonnement de quelques arbustes.
Enfin, la demeure éthérée,
Aux astronomes consacrée,
Qu'une troupe d'Autrichiens
Gardait à ses fiers souverains,
De tout le monde séparée,
Fréquentant, au lieu des humains,
Les chats-huants de la contrée,
Ou quelque ombre triste, égarée.
Qui plaignait encor ses destins,
Environnée de Prussiens,
De tout secours désespérée,
Ses tours, ses forts, ses ravelins,
Sont tombés, ce jour, dans nos mains.
C'est-à-dire que Glatz211-a s'est rendu le 26 de ce mois, par capitulation, de sorte que je suis à présent maître sans réserve de toute la Silésie.
<191>M...., mauvaise copie de quelque chétif original anglais,211-b vient de prendre le parti décisif de nous quitter. Vous pouvez vous imaginer jusqu à quel point je regrette sa perte.
Cet imitateur sans génie
De l'extérieur des Anglais
En a copié la folie,
Mais il manqua leurs meilleurs traits.
Sans le vrai, tout est ridicule;
Mars n'a jamais l'air d'Alcidon,
Sans la force on n'est point Hercule,
Ni sans la sagesse un Caton.
Pardonnez à ce trait qui m'est échappé contre un homme que vous honorez de votre estime; mais je crois que cette estime est du nombre de celles
Que tous les jours de nouvel an
L'on se débite en compliment,
Qu'on se jure et qu'on se proteste,
Quand sous la barbe, doucement,
L'on voudrait plus sérieusement
Que l'autre crevât de la peste.
Vous ne me dites rien des nouvelles berlinoises, du Tourbillon,212-a de Césarion, ni de l'histoire de la galanterie,
Ni de votre aimable goutteux,
Qui devient si fort amoureux,
Que cette violente flamme
Aux incurables met son âme,
Ni de son vigoureux tendron,
Qui, lorsqu'on joue au corbillon,
Répond, de sa bouche de rose,
Avec connaissance de cause
Quand on demande, Qu'y met-on?
<192>Tenez, voilà assez de sottises pour une fois; contentez-vous-en, cher Jordan, jusqu'au premier ordinaire, où j'espère de ne point demeurer en reste. Adieu.
211-a Il s'agit ici de la citadelle de Glatz. Voyez t. II, p. 133.
211-b Frédéric veut parler du feld-maréchal comte de Schwerin, qui quitta l'armée par jalousie de ce que le Roi avait confié au vieux prince Léopold d'Anhalt le commandement d'une armée dans la Haute-Silésie. Il la quitta de même brusquement, par une raison d'amour-propre, et partit de Prague pour Francfort-sur-l'Oder, le 4 novembre 1744. Voyez t. III, p. 82. Le comte de Schwerin avait combattu à Hochstädt sous Marlborough. Dès 1737, on l'appelait, à la cour de Berlin, Marlborough et le petit Marlborough. Voyez le Journal secret du baron de Seckendorff. A Tubingue, 1811, p. 176.
212-a Madame de Morrien. Voyez t. XIII, p. 10, et ci-dessus, p. 191 et 192.