146. DE M. JORDAN.
Berlin, 5 juin 1742.
Sire,
J'ai reçu deux lettres de Votre Majesté en même temps; voilà plus d'honneur et de plaisir que je n'en mérite. Cet avantage me sert de remède; c'est un excellent lénitif pour un homme qui, depuis le mois de novembre, est entre les mains de la Faculté meurtrière. Mon corps est très-cacochyme, et l'esprit qui le sert. <220>Je sens, malgré tout cela, de la joie dans le cœur depuis le gain de la bataille et depuis le moment où l'on a commencé à se flatter que V. M. reviendrait à Berlin. Haude ne bat que d'une aile; Francheville faisait une feuille périodique qui aurait pu devenir fort intéressante, mais il n'est point encouragé, et le censeur le rebute. Ma bibliothèque fait mes délices, parce que, en la feuilletant, je me persuade de plus en plus que tout est frivole dans le monde littéraire. La seule étude salutaire aux hommes est celle qui nous apprend à vivre avec eux, à les connaître, et celle qui contribue à notre conservation et à notre plaisir. Je regarde les autres comme des jouets qui amusent les enfants. Personne n'est plus convaincu de tout cela que V. M., qui a tant philosophé en sa vie.
Le bâtiment de l'Opéra croît à vue d'œil; c'est une observation que tout le monde fait. Les plafonds de Charlottenbourg avancent, et Pesne y travaille avec beaucoup d'assiduité.
On était impatient de voir une relation de la bataille, faite par la cour de Vienne; elle a enfin paru dans les gazettes. On voit, par cette relation, que les Autrichiens avouent qu'ils ont été battus par les redoutables Prussiens en due et bonne forme.
On prétend que le comte de Törring va à Vienne.
Dieu veuille conserver V. M., et que j'aie la consolation de la voir bientôt dans les superbes jardins du riant Charlottenbourg!
J'ai l'honneur d'être, etc.