5. DU MÊME.
(Septembre 1746.)
Sire,
J'ai reçu la lettre que Votre Majesté m'a fait la grâce de m'écrire le 18 août, et j'ai à vous demander pardon, Sire, si je n'ai pas répondu plus tôt à V. M. Mes occupations ont été moins la cause de mon silence que l'incertitude des événements, et mon amour-propre aurait été trop humilié, si j'avais annoncé des je ne sais à V. M. pour justifier ma conduite. Mais Namur est pris, et, quoique je me sois affaibli de soixante-deux bataillons et d'autant d'escadrons, j'ai contenu M. le prince Charles, qui est actuellement vis-à-vis de moi, à une portée de canon; un petit ruisseau nous sépare. Je ne crois cependant pas qu'il m'attaque, et je crois avoir beaucoup fait de l'avoir obligé de m'abandonner <306>Namur et de se retirer par un pays où son armée a souffert considérablement, sans m'être commis à un combat toujours douteux lorsque l'on n'a pas des troupes sur la discipline desquelles l'on peut compter.
Les Français sont ce qu'ils étaient du temps de César, et tels qu'il les a dépeints, braves à l'excès, mais inconstants, fermes à se faire tous tuer dans un poste lorsque la première étourderie est passée, car ils s'échauffent dans les affaires de poste, si l'on peut les faire tenir quelques minutes seulement; mauvais manœuvriers en plaine. Tous ces défauts, Sire, vous ne les connaissez pas dans vos troupes, et vous savez positivement ce que vous en pouvez attendre. Il faut donc avoir recours alors aux dispositions, que l'on ne saurait faire avec trop de soin. Le simple soldat s'y connaît, et, lorsqu'ils sont bien postés, l'on s'en aperçoit d'abord à leur gaieté et à leurs propos. Toutes ces choses sont fort sujettes à caution, et l'on ne peut s'en garantir que par les avantages que l'on peut tirer des situations que le pays où l'on se trouve peut fournir. Comme il ne m'est pas possible de les former comme ils devraient être, j'en tire le parti que je puis, et je tâche de ne rien donner de capital au hasard.
Malgré cela, notre position est établie sur des principes solides. La prise de Namur nous fournit les moyens de porter la guerre au sein de la Hollande, la campagne prochaine; et si nous avions un échec, à quoi il faut toujours s'attendre, il ne serait pas d'une conséquence bien grande. La première place arrêterait assez nos ennemis pour nous donner le temps de nous reconnaître; car vraisemblablement nous les défendrions un peu mieux qu'ils ne font, et il faut qu'ils en prennent plusieurs avant de nous ramener d'où nous sommes partis; cela pourrait bien enfin les ennuyer. V. M. trouvera peu de brillant dans cette méthode de faire la guerre, et je ne l'adopte pas dans tous les cas. La campagne prochaine me fournira peut-être les moyens d'assiéger encore une place ou deux pour assurer nos derrières, nos subsistances, nos convois; et puis je crois qu'il sera à propos d'opérer par incursion. Pardonnez, Sire, si j'ose hasarder mes opinions devant un juge aussi éclairé que l'est V. M. J'en connais tout le danger; mais vous avez ordonné, Sire, que je vous disse mes <307>pensées et les raisons de ma conduite, que je soumets avec timidité à votre jugement.