<141>sais encore quand et comment nous nous verrons, et tout ce que je puis souhaiter n'y contribue pas beaucoup. Vous devez savoir, mesdames, que ceux qui ont le malheur d'être des politiques se voient si fort assujettis au mouvement général des événements, qu'ils sont obligés de suivre l'impression que le tourbillon fait sur eux. Tout ce que je puis assurer, c'est que je ne serai point fâché de revoir mes pénates, mes parents et mes amis. Ce sont des sentiments que l'on ne doit pas avoir honte d'avouer. Je m'en fais gloire, comme de ceux de l'estime parfaite avec laquelle je vous prie de me compter au nombre de vos bons amis.
Federic.
7. A LA MÊME.
Camp de Semonitz, 30 août 1745.
Madame,
La dernière fois que je vous écrivis, j'avais l'âme bien tranquille, et je ne prévoyais pas le malheur qui allait m'accabler. J'ai perdu en moins de trois mois mes deux plus fidèles amis,a des gens avec lesquels j'ai toujours vécu, et dont la douceur de la société, la qualité d'honnête homme, et la véritable amitié que j'avais pour eux, m'ont souvent aidé à vaincre des chagrins et à supporter des maladies. Vous jugez bien qu'il est difficile pour un cœur né sensible comme le mien d'étouffer la douleur profonde que cette perte me cause. Je me trouverai, à mon retour à Berlin, presque étranger dans ma propre patrie et, pour ainsi dire, isolé parmi mes pénates. Je parle à une personne qui a donné des marques de fermeté, en perdant, aussi presque tout d'un coup, tant de personnes qui lui étaient chères; mais, madame, j'avoue que j'admire votre courage sans pouvoir encore l'imiter. Je ne mets mon espérance que dans le temps, qui vient à bout de tout ce qu'il y a dans la nature, et qui commence par affaiblir les im-
a M. Jordan et le baron de Keyserlingk. Voyez t. VII, p. 3-10, t. X, p. 24, t. XI, p. 36, 102, 106 et 134, et t. XVII, p. 321.