<24>Adieu, cher cygne; faites-moi entendre quelquefois de votre chant, mais que ce ne soit point selon la fiction des poëtes, en rendant l'âme aux bords du Simoïs. Je veux de vos lettres, vous bien portant et même mieux qu'à présent. Vous connaissez et êtes persuadé de l'estime que j'ai pour vous.
15. AU MÊME.
Remusberg, 13 novembre 1740.
Mon cher cygne, vous êtes né, je crois, pour voir arriver de vos jours de grands événements. Voilà donc l'impératrice de toutes les Russies morte, ce qui va faire un terrible changement dans les affaires de cet immense empire. En Saxe, on joue aux osselets, et l'on est plein de l'orgueil le plus parfait qu'il y ait dans le monde; en France, on joue au plus fin, et l'on guette sa proie; en Hollande, on tremble, et l'on fait pis encore; à Vienne, on se tourne de tous côtés pour prendre une bonne résolution, on a la gangrène dans le corps, et l'on craint une opération douloureuse, seul remède qui pourrait la guérir; à Remusberg, on danse, on fait des vers, et l'on n'a plus la fièvre; à Berlin, les cygnes qui se sont brûlé les ailes se les font guérir; et en Danemark, le Roi et ses sujets mangent du gruau et du sarrasin à en crever. Voilà la gazette d'aujourd'hui. Adieu, cher cygne. A Berlin, un quart d'heure d'entretien sur vos affaires les mettra, j'espère, dans une situation que vous pourrez être content.