64. A LA MÊME.
Potsdam, 31 octobre 1764.
Madame ma cousine,
Je suis bien aise que le prince Auguste vous ait rendu compte, ma chère duchesse, des sentiments distingués que je conserverai pour vous toute ma vie gravés dans mon cœur. Mais, quoi qu'il vous en ait dit, ne pensez pas que cette matière puisse s'épuiser si vite, ni qu'une conversation du prince ait pu vous mettre au fait de tout ce que vous inspirez à ceux qui, comme moi, ont le bonheur de vous connaître. Si j'ai fait une petite sortie sur la Providence, c'est, ma chère duchesse, qu'il n'est en vérité pas bien que vous souffriez. Considérez la brièveté de la vie des hommes, considérez combien ils sont exposés aux traits du mal physique et aux corruptions du mal moral. Le mal est dans le monde, on ne saurait le nier; la question est de savoir qui l'y a mis. Pour moi, je l'ignore profondément, et je féliciterai très-sincèrement le docteur en théologie qui m'en découvrira la cause. Mais, s'il me parle de sa pomme,a je le renvoie aux Métamorphoses d'Ovide, à Peau-d'âne, à Barbe-bleue. Et voilà cependant comme on nous traite, et l'on explique des énigmes par des fables! Mais tout cela ne nous touche point. Le monde en va de même, que l'on connaisse ou qu'on ignore les ressorts qui le font aller. Pourvu que la vertu soit épargnée, que vous ne souffriez pas, ma chère duchesse, me voilà content, car personne ne prend plus de part à votre conservation que,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
a La pomme d'Adam, le péché originel.