<89>Si vous allez à Herculanum, tâchez, s'il se peut, de m'en apporter quelque bloc de marbre, comme les juifs qui reviennent de la Palestine apportent de la terre où était leur temple à leurs confrères.
85. AU MÊME.
Je vous remercie de la belle musique que vous m'avez envoyée. A l'entendre, j'aurais cru que, depuis Vinci et Hasse, les Huns et les Gépides auraient ravagé la Lombardie, et, en la détruisant, y auraient porté leur goût bizarre et barbare. On pourrait appliquer à vos compositeurs le mot de Waldstörchel : « Tu fais des notes sans faire de la musique. »a Je crains plus que jamais pour votre santé depuis que je vous sais dans une université de médecins. Il faut qu'ils entendent bien mal leur métier, s'il ne s'en trouve pas un d'assez adroit pour vous dépêcher là-bas. Je sens tous les jours, avec les progrès de l'âge, augmenter mon incrédulité pour les historiens, théologiens et médecins. Il n'y a que peu de vérités connues dans le monde; nous les cherchons, et, chemin faisant, nous nous contentons des fables qu'on nous forge, et de l'éloquence des charlatans. Vous n'allez donc point à Herculanum? J'en suis fâché; c'est le phénomène de notre siècle; et si de si fortes entraves ne me retenaient pas ici, je ferais cinq cents lieues pour voir une ville antique ressuscitée de dessous les cendres du Vésuve. Je vous remercie des épreuves de marbres, que j'ai bien reçues. Il m'en est venu une bonne provision d'Italie; si cependant vous vouliez me commander delle agate gialle di colori diversi, des morceaux assez grands pour faire deux grandes tables et deux grandes cheminées, vous me feriez plaisir. Adieu, cygne
a Frédéric parle ici du Petit prophète de Böhmischbroda, ou Prophétie de Gabriel Joannes Nepomucenus Franciscus de Paula Waldstorch, dit Waldstörchel, natif de Böhmischbroda, etc. C'est une satire que le baron de Grimm publia en 1753 contre les prôneurs de la musique française. Il dit, chap. 19 : « Et ainsi que tes musiciens ont fait des notes jusqu'à ce jour, de même ils feront de la musique qui en soit une. »