<92>choisir pour ses lecteurs? Je dois en remercier d'autant plus V. M., qu'elle a bien daigné me mettre de ce nombre. Mais j'avoue, Sire, que je ne suis pas si selfish, comme disent les Anglais, que je ne souhaitasse que tout le monde fût enchanté de ces vers que V. M. a écrits tandis qu'Apollon chantait.
88. DU MÊME.
Venise, 11 janvier 1754.
Sire,
Dans le temps que je me flattais d'être en chemin pour me mettre aux pieds de V. M., me voilà encore à Venise. La saison qu'il fait ici depuis trois mois est des plus affreuses, et à Venise on ne voit pas plus le soleil qu'à Londres. Ma santé est encore dans un état qu'il y a bien plus d'apparence que je serais tombé malade en chemin, qu'il n'y en avait du dernier voyage que je fis. Si jamais, Sire, j'ai connu ce que vaut la santé, c'est par ce que me coûte à présent le peu qui m'en reste. Il est bien sûr, Sire, que dans tel état que je sois, d'abord que le temps commencera à s'adoucir, je me mettrai en chemin, et j'irai faire ma cour à V. M.,
Cum Zephyris, si concedes, et hirundine prima.aJ'ai envoyé à V. M. quelques boutargues qu'on m'a données comme d'une pâte très-fine; je me flatte qu'elles agréeront à V. M., et elle en aura toujours de la même espèce.
Les plaisirs du carnaval sont des plus maigres. Les opéras ne sont ni à voir ni à entendre. On est bien éloigné ici d'étaler aux yeux le spectacle magnifique du nouveau monde ou de l'ancienne Rome, et de toucher le cœur par les actions d'un Sylla ou par les aventures d'un Montézuma; on est toujours réduit à la ressource déjà usée de changer le théâtre dans la boutique d'un miroitier.
a Horace, Épîtres, liv. I, ép. VII, v. 13. Voyez t. XVII, p. 368.