3. AU MÊME.
Berlin, 4 décembre 1739.
Mon cher Algarotti, vous devez avoir reçu à présent ma réponse aux beaux vers que vous m'avez envoyés, dont l'esprit sert comme de véhicule à la louange. J'espère de pouvoir bientôt vous envoyer mon Antimachiavel. J'y travaille beaucoup; mais, comme je destine cet ouvrage pour le public, je voudrais bien qu'il fût poli et limé de manière que les dents de la critique n'y trouvassent que peu ou point à mordre. C'est pourquoi je corrige et j'efface à présent les endroits qui pourraient déplaire au lecteur sensé et aux personnes de goût. Je ne me précipite point, et j'aperçois tous les jours de nouvelles fautes. C'est une hydre dont les têtes renaissent à mesure que je les abats. Nous avons reçu ici un très-habile physicien, nommé Célius;8-a c'est un homme qui a pour plus de vingt mille écus d'instruments de physique, et qui est très-versé dans les mathématiques. Il y a actuellement à Londres un grand mécanicien et opticien que le Roi fait voyager. Cet homme promet beaucoup; je crois que vous ne vous repentirez point de le connaître; il s'appelle Lieberkühn.
J'attends la feuille de Virgile avec impatience, pour accélérer l'impression de la belle édition de la Henriade; on commencera cette semaine à la faire copier. Voltaire est à présent à Cirey <8>avec Émilie. Ils iront, à ce qu'ils disent, dans peu à Bruxelles. Je crois que l'air du barreau ne leur conviendra ni à l'un ni à l'autre, et que Paris peut être regardé comme le centre d'attraction vers lequel tout Français gravite naturellement.
Si vous trouvez à Londres quelque ouvrage digne de la curiosité d'un étranger, faites-le-moi savoir, je vous prie. J'ai vu une pièce de mylord Chesterfield, pleine d'esprit, de bonne plaisanterie et d'agréments; elle est sur l'ajustement des dames. N'oubliez pas au moins les singulières productions du docteur Swift. Ses idées nouvelles, hardies et quelquefois extravagantes, m'amusent. J'aime assez ce Rabelais d'Angleterre, principalement lorsqu'il est bien inspiré par la satire, et qu'il s'abandonne à son imagination.
Adieu, cher Algarotti; n'oubliez point ceux que vous avez charmés à Remusberg par votre présence, et soyez persuadé de l'estime parfaite avec laquelle je suis
Votre très-affectionné ami,
Federic.
Mes compliments à mylord Baltimore.
8-a Frédéric dit la même chose dans sa lettre à Voltaire, également du 4 décembre 1739; mais le nom de Célius nous est inconnu.