36. AU MÊME.
AU BEAU CYGNE DE PADOUE.
La sagesse, il est vrai, nous dénote le sage;
Mais, ami, dans notre jeune âge,
L'orgueil prématuré de se faire admirer
Ne vaut pas la joyeuse vie,
Ni les écarts brillants de l'aimable folie
Que les Catons peuvent blâmer,
Mais que le vrai bon sens très-prudemment allie
Avec la vraie philosophie
Et l'art heureux de plaire et de se faire aimer.
Ainsi, mêlant au badinage
De tes charmants propos la force de l'image
Et le nerf des bonnes leçons
Qu'en tes moëlleux discours, à table ou en voyage,
Avidement nous écoutons,
Ton esprit me transporte en une galerie
Où des plus précieux tableaux
Le spectacle enchanteur sans cesse se varie,
Où les derniers sont les plus beaux,
Où Corrége et Poussin étalent leur génie
<52>Avec les Lancrets, les Watteaux.58-a
Tantôt tu me transporte en ces champs pleins d'alarmes
Où le comédien et l'auteur
Au sein de Melpomène ont fait verser nos larmes,
Tantôt dans ces lieux pleins de charmes
Où le correct et doux censeur
Fait, même en le jouant, rire le spectateur.
O mortel trop charmant! ô mortel trop aimable!
Sacrifiez pour moi les schah, les Chouli-Kans,
Laissez l'Islande et les volcans;
Et que j'aie à jamais le plaisir ineffable,
Durant la trame de mes ans,
D'entendre vos discours, de lire votre prose,
Et de chanter vos divins vers.
Ami, que ce parti, que mon cœur vous propose,
Vous tienne lieu de l'univers.
Federic.
58-a Frédéric aimait beaucoup les tableaux d'Antoine Watteau, mort en 1721, et de son imitateur Nicolas Lancret, mort en 1747 (t. XIV, p. 36). Voyez la Description de tout l'intérieur des deux palais de Sans-Souci, de ceux de Potsdam et de Charlottenbourg, contenant l'explication de tous les tableaux, etc., par Matthieu Oesterreich. A Potsdam, 1773, in-4. Voyez aussi t. XVII, p. 163, et la lettre du marquis d'Argens à Frédéric, du 19 octobre 1760.