<107>avoir vaincu. Je suis si excédé des revers et des désastres qui m'arrivent, que je souhaite mille fois la mort, et que de jour en jour je me lasse davantage d'habiter un corps usé et condamné à souffrir. Je vous écris dans le premier moment de ma douleur. L'étonnement, le chagrin, l'indignation, le dépit, confondus ensemble, déchirent mon âme. Voyons donc la fin de cette exécrable campagne, et alors je vous écrirai ce que je deviendrai moi-même, et nous arrangerons le reste. Ayez pitié de mon état, et n'en faites point de bruit, car les mauvaises nouvelles se répandent assez d'elles-mêmes. Adieu, cher marquis. Quando avrai fine il mio tormento!
90. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 25 novembre 1759.
Sire,
Si la fortune vous persécute, votre fermeté et vos lumières vous mettront au-dessus de ses caprices. L'exemple du passé m'assure de l'avenir, et je ne doute pas un seul instant que vous n'ayez déjà réparé en partie une infortune à laquelle vous n'avez aucune part. Quand on a agi dans les règles les plus exactes, on ne répond point, dans quelque métier que ce soit, des événements, et moins dans celui de la guerre que dans tous les autres. Je comprends combien vous devez souffrir, parce que, quelque courage et quelque génie qu'on ait, on ne peut s'élever au-dessus de l'humanité. Mais les grands hommes comme vous ont toujours vaincu par leur constance ce qui aurait accablé des âmes communes. Il faut que cette campagne finisse; les glaces et les neiges vont ramener la tranquillité pendant quelques mois, et j'espère que le printemps donnera la paix à l'Europe. Quand les Français auront achevé de fondre les vieilles cuillers qu'ils envoient à la monnaie pour avoir de l'argent, feront-ils la guerre avec leurs marmites et leurs casseroles, et payeront-ils en monnaie de cuivre les subsides aux Russes et aux Suédois? Si les Anglais avaient voulu