<109>flatte qu'ils partiront les premiers. Patience donc jusqu'au bout, et voyons la fin que prendra cette campagne infernale. J'use, cette année-ci, toute ma philosophie; il n'est point de jour que je ne sois obligé de recourir à l'impassibilité de Zénon. Je vous avoue que c'est un dur métier quand il faut le continuer. Épicure est le philosophe de l'humanité, Zénon est celui des dieux, et je suis homme. Depuis quatre ans. je fais mon purgatoire; s'il y a une autre vie, il faudra que le Père éternel me tienne compte de ce que j'ai souffert dans celle-ci. Tout état, toute condition éprouve des traverses et des infortunes; il faut que je porte mon fardeau, quoique très-pesant, comme un autre, et je me dis : Ceci passera comme nos plaisirs, nos goûts, nos peines et nos heureux destins. Adieu, cher marquis. Mes lettres vous paraîtront bien noires; je ne saurais, je vous jure, vous en écrire d'autres. Quand l'esprit est inquiet et chagrin, on ne voit pas couleur de rose. Je vous embrasse, et je souhaite de vous revoir bientôt.
92. AU MÊME.
(Wilsdruf) 29 novembre 1759.
Enfin donc, j'espère de vous revoir; mais je ne me flatte pas de cet agrément avant quatre semaines, que je vous donne pour faire ce grand voyage. Il y a ici un appartement préparé pour votre réception, sans vent coulis et très-chaud, très-proche du mien, où vous pouvez venir sans capote et sans mouchoir devant la bouche. J'ai ici un rouleau énorme d'estampes qui doit vous être offert à votre arrivée. On montre ici la galerie du roi de Pologne, qui est très-belle. On ne voit point de Saxon. Vous avez une église catholique vis-à-vis de votre nez, où l'on fait d'excellente musique. Enfin, si tous ces arguments se trouvent insuffisants pour allécher votre curiosité, je dois y ajouter que, si vous venez ici, vous y trouverez le plus sincère de vos admirateurs, charmé de vous y voir.