<122>Je sais bien que c'est le hasard qui a vérifié les prédictions de cet homme; mais il faut convenir que c'est un singulier hasard. Si j'étais assuré que l'événement voulût m'être aussi favorable, je me mêlerais d'être prophète; cela ferait enrager Voltaire, et il n'oserait plus se moquer des gens qui exalteraient leur âme. J'ai l'honneur, etc.

102. AU MARQUIS D'ARGENS.

Janvier 1760.

Il me semble, mon cher marquis, que votre prophète frise le bel esprit. Il faut que ce soit un grand génie qui s'ouvre une carrière nouvelle;

Car, marquis, jamais Isaïe,
Ou Habacuc, ou Jérémie,
Chez les Juifs vaincus et contrits,
N'eurent, je pense, la manie
De passer pour de beaux esprits.

Le malheur rend craintif, et la peur, superstitieux. Je ne m'étonne pas que des gens qui annoncent l'avenir avec effronterie et assurance trouvent des esprits crédules qui ajoutent foi à leurs prédictions.

Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.a

Je souhaiterais que nous pussions rire plus à notre aise de ces balivernes, mais l'envie de rire m'est passée. Je suis frappé de trop de malheurs, et environné de trop d'embarras; avec cela, il me reste trop peu d'espérances pour que je puisse m'égayer.

Je vous envoie une odeb que j'ai faite pour mon neveu; ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que cette ode n'est point remplie


a Boileau, Art poétique, chant I, dernier vers. Voyez t. X, p. 157, et t. XIV, p. 294.

b Ode au prince héréditaire de Brunswic; t. XII, p. 25.