<132>Fable. Quand je crois la tenir, elle s'échappe. Qu'allons-nous devenir cette année, et quelle sera notre destinée? Vous n'en savez rien, ni moi non plus. Mais je crains fort que, si quelque dieu de machine ne s'en mêle, la fin sera funeste. C'est la vieille chanson que je vous répète. Ne vous en étonnez pas, mon cher marquis. Les objets de la guerre m'entourent journellement, et mes sens en sont frappés avec trop de suite pour que les idées n'en fassent pas impression sur mon esprit. Il faut l'avouer, nous vivons dans des temps orageux et terribles. Cette guerre ne le cède en rien à celle de trente ans. Mêmes cruautés, mêmes ravages, même dévastation, et, par-dessus tout, la quantité immense de canons qui change presque toutes les règles de l'art militaire. Mais vous, qui êtes comme un passager sur notre vaisseau, laissez la manœuvre au pilote et la crainte aux matelots. Adieu, cher marquis; je vous embrasse.
109. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 7 mars 1760.
Sire,
Il s'en faut de beaucoup que mon prophète n'annonce plus l'avenir. Il soutient toujours que nous serons aussi heureux cette année que nous avons été malheureux l'année passée; il offre d'être puni comme un imposteur et d'être enfermé comme un fou, s'il se trompe dans ses prédictions. Quant à moi, sans avoir l'honneur d'être prophète, je suis convaincu que nos affaires iront très-bien. Vous vous défiez de la fortune? Je ne saurais, Sire, vous blâmer à ce sujet; elle vous a été peu favorable dans cette dernière campagne. Mais ce qui me rassure, c'est que je vois que, lorsqu'elle a semblé vouloir entièrement vous abandonner, elle a tout à coup fourni des moyens pour réparer les pertes qu'elle avait causées. On doit craindre pour la cause publique quand les funestes événements sont arrivés par la faute de cette