<141>de Champion. J'y ai perdu un fort mauvais cuisinier, et d'ailleurs sans fidélité; mais sa perfidie ne pouvait pas me faire grand mal. J'ai donné à Noël commission de m'en faire venir un des meilleurs que l'on connaisse. Mais je suis insensé de penser à toutes ces choses dans un temps où je ne sais pas si j'atteindrai à la fin de la guerre, et si j'aurai de quoi payer ceux que j'engage. La paix, mon cher marquis, hélas! vos Français ne savent pas s'ils la veulent ou s'ils ne la veulent pas; cela leur a valu l'épigramme suivante :a

Peuple plaisant, aimables fous,
Qui parlez de la paix sans songer à la faire,
Toujours incertains dans vos goûts,
Tantôt furieux, tantôt doux,
Changeant de mœurs, de caractère,
Selon votre inconstance et votre humeur légère,
A la fin donc résolvez-vous :
Avec la Prusse et l'Angleterre
Voulez-vous la paix ou la guerre?
Vous méprisez la mer, Neptune et son courroux,
Et vous vous préparez à subjuguer la terre.
Hélas! tout, je le vois, est à craindre pour nous
De votre milice invincible,
Qui maintient dans ses corps un ordre incorruptible.
Des insignes héros dont Mars même est jaloux,
Et surtout de votre prudence,
Qui, par un bizarre destin,
A du souffle d'Éole, utile à la finance,
Abondamment enflé les outres de Bertin.

Voilà, mon cher, les sottises qui me consolent de malheurs réels, ou voilà plutôt les chansons avec lesquelles je berce mon enfant pour l'empêcher de crier et l'endormir. Adieu, mon cher marquis; n'oubliez pas le poëte démasqué qui enrage de l'être, qui enrage de son infortune, de sa vie trop longue et trop malheureuse, et de ne pouvoir vous assurer lui-même de son amitié.


a Cette même épigramme se trouve en tète de la lettre de Frédéric à Voltaire, du 20 mars 1760. Voyez t. XII, p. 154 et 155.