<157>qui quelquefois paraît s'éteindre, et qui tantôt, par saillies, jette une nouvelle flamme. Il faut attendre, et voir ce qui en résultera. La philosophie et l'expérience ont dompté ma vivacité naturelle, et m'ont appris à attendre les événements avec patience; un chrétien ajouterait : avec résignation. Dans le pays où je suis, il n'y a point d'estampes; je ne puis parier contre les vôtres que des soieries et de la limaille du fer qu'on tire ici des mines. Ce serait un pari digne de Pharasmane.a Voilà tout ce que je puis pour vous. Ayez la bonté de dire à Gotzkowsky qu'il m'envoie un catalogue de ses tableaux; cela m'amusera dans les moments de l'accès de fièvre chaude qui va nous prendre.
Vous n'aurez point de vers aujourd'hui de moi; je vous en réserve tout un amas pour la première occasion. C'est quelque chose de terrible que ce démon de la poésie; il me tourmente dans toutes les situations où je me trouve, il m'assaillit partout. S'il se trouve quelque exorciste de votre connaissance, envoyez-le-moi, pour qu'il me délivre de cet esprit malin. Adieu, mon cher marquis; je vous recommande, et moi, à la protection de Sa sacrée Majesté le Hasard. Je souhaite qu'il vous fasse vivre heureux, tranquille et sain, et que je vous retrouve tel, si ce même hasard permet à ma destinée errante de me ramener jamais à mes foyers de Sans-Souci.
125. AU MÊME.
Le 1er mai 1760, au camp de porcelaine (Schlettau, près de Meissen).
De crainte que vous n'accusiez, mon cher marquis, ma veine d'être tarie, je vous envoie un morceaua que j'ai travaillé ici. Vous verrez par là que nous nous préparons très-sérieusement
a Voyez t. II, p. 22.
a Le marquis d'Argens faisait un fréquent usage de ce mot, et c'est par plaisanterie que Frédéric s'en sert à son tour, en annonçant à son ami l'envoi de l'Épître que nous avons imprimée t. XII, p. 170-173.