<230>marche, pour me commander à dîner à Strehlen, où ma maison était arrivée; ce pauvre garçon devient fou en chemin, et arrive à Torgau en faisant mille extravagances. Nous avons jeûné de cette aventure, et j'ai été obligé de renvoyer ce pauvre malheureux à ses parents, sans qu'il y ait espérance qu'il recouvre jamais le bon sens. Que nous sommes de misérables créatures, pauvres humains qui nous enorgueillissons d'un instinct un peu plus perfectionné que celui des bêtes, qu'un moment nous ravit, et qui, une fois perdu, rend notre condition pire que celle des brutes! Quelle source inépuisable de réflexions humiliantes et tristes! Je les supprime, puisque vous les ferez de vous-même, me bornant à vous assurer que, tant que je conserverai cet instinct de raison en son entier, je ne cesserai de vous aimer et de vous estimer. Vale.
Mes compliments à la marquise.
175. AU MÊME.
Kunzendorf, 24 mai 1761.
Je fais des vœux, mon cher marquis, pour que vous passiez tranquillement votre été à la terre où vous vous êtes retiré. J'ai cependant quelque pressentiment qui me fait croire qu'il y aura encore quelques moments d'inquiétude et d'alarme. A la vérité, les Anglais et les Français commencent à négocier tout de bon; mais vous sentez que c'est un remède lent, qui n'opérera pas aussi vite que nous le désirons. Notre tranquillité dans ces cantons durera encore probablement jusque vers la fin du mois prochain, et alors ce sera à peu près comme la campagne dernière. Je vous y prépare d'avance, pour que vous vous attendiez à peu près aux mêmes événements.
Je n'ai rien appris de Voltaire; je ne sais s'il est à Paris ou à sa seigneurie de Tournay. S'il a eu permission de retourner en