<273>Achille;d au lieu que le poëte latin est rempli de grâces touchantes et variées d'un bout à l'autre. Je juge à peu près de même de Corneille et de Racine. De grands sentiments seuls, quoique exprimés fortement, ne font pas une tragédie, et Corneille n'a eu que cela; au lieu que la disposition, l'enchaînement des scènes et une élégance continue font le mérite de Racine. J'ai lu hier l'Alceste et l'Amasis de La Grange; ce sont deux pièces abominables, où les acteurs s'énoncent pour la plupart en insensés, qui manquent de vraisemblance et de caractères soutenus; les vers faibles et mauvais; enfin cette lecture m'a bien fait rabattre de l'idée que j'avais de la réputation de l'auteur. Vous n'avez eu proprement en France que trois poëtes tragiques, Racine, Crébillon et Voltaire; les autres ne sont pas soutenables.
J'ai ici un Discours d'Othon après la bataille de Bédriac, et un Discours de Caton à Utique, que je vous enverrai dès que je croirai pouvoir le faire. Je vous recommande, en attendant, à la garde de la Providence, en vous assurant, mon cher marquis, que mon avant-dernière pensée sera à vous. Adieu.
206. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 29 décembre 1761.
Sire,
J'aurais eu l'honneur d'écrire il y a dix jours à Votre Majesté; mais j'ai cru que je n'aurais jamais plus ce bonheur. J'ai eu une inflammation causée par mes maudites crampes, et l'on a cru pendant trois jours que j'étais hors de toute espérance. A la fin, après quatre saignées, une boisson d'eau de quinquina pour éviter la gangrène, et une légère médecine quand le mal a été calmé, je suis hors d'affaire pour cette fois.
J'avais regardé comme un conte ce que l'on débitait sur l'ac-
d Iliade, chant VI, v. 405 et suivants, et chant XXIV, v. 477 et suivants.