<282>Les Anglais n'ont plus de paix particulière à faire, et Dieu sait, à la longue, ce qu'ils auraient pu conclure, séduits par les cessions que leur offraient les Français; d'ailleurs, avec deux cents vaisseaux, ils sont restés les bras croisés toute la campagne passée, et se sont laissé duper et amuser par le ministère de Versailles, qui cherchait à faire son traité avec les Espagnols. Je crois qu'ils penseront différemment aujourd'hui. Ce qu'il y a de bien certain, c'est que vous leur devenez actuellement pour le moins aussi nécessaire qu'ils vous le sont, et cela, par cent mille raisons que V. M. connaît sans doute cent fois mieux que moi.
V. M. vit solitairement, je n'en doute pas; mais certainement, si elle ressemble à un chartreux, je puis bien dire que je suis un père de la Trappe. Il y a, au pied de la lettre, huit mois que je ne suis pas sorti une seule fois de mon appartement. Heureusement je suis fort bien logé, et j'étourdis mon chagrin à force de lire les gazettes anglaises, que je me fais traduire, et des livres grecs, que j'étudie pour pouvoir les entendre. J'ai l'honneur, etc.
212. AU MARQUIS D'ARGENS.
(Breslau) 18 janvier 1762.
Si je me sentais la tête tant soit peu poétique, j'aurais incessamment corrigé les vers, mon cher marquis, que vous censurez. Mais j'ai l'esprit si ému, si agité aujourd'hui, qu'à peine puis-je faire de la prose. Je remets mes corrections à un autre jour, et je vous les enverrai aussitôt. Vous avez levé le voile politique qui couvrait des horreurs et des perfidies méditées et prêtes à éclore; vous jugez très-bien de toute la situation présente où je me trouve, des abîmes qui m'environnent, et je vois, par ce que vous me dites, que vous devinez l'espérance qui nous reste. Ce ne sera qu'au mois de février que nous pourrons en parler avec certitude, et c'est le terme que je me suis proposé pour décider si