<283>je m'en tiendrai à l'avis de Caton, ou s'il faudra suivre les Commentaires de César. Je passe par une école de patience, dure, longue, cruelle et même barbare. Je n'ai point pu me soustraire à mon sort; tout ce que la prévoyance humaine a pu indiquer a été employé, et rien n'a réussi. Si la fortune continue à me poursuivre aussi impitoyablement, je succomberai sans doute; il n'y a plus qu'elle qui puisse me tirer de la situation où je suis. Je me sauve de là en envisageant l'univers en grand, comme le contemplant d'une planète éloignée; alors tous les objets me paraissent infiniment petits, et je prends mes ennemis en pitié de se donner tant de mouvement pour si peu de chose. Que deviendrions-nous sans la philosophie, sans réflexion, sans détachement du monde, et sans ce mépris raisonnable que nous inspire la connaissance des choses frivoles, passagères et fugitives dont les avares et les ambitieux l'ont un trop grand cas, parce qu'ils les croient des biens solides et durables. Voilà les fruits qu'on rapporte de l'école de l'adversité. C'est devenir sensé à coups de bâton, direz-vous; mais, pourvu qu'on soit sage, qu'importe comment?
Je lis beaucoup; je dévore mes livres, et cela me fait des distractions utiles. Si je ne les avais pas, je crois que l'hypocondrie m'aurait conduit aux Petites-Maisons. Enfin, mon cher marquis, nous sommes dans des temps fâcheux et dans des situations désespérées; j'ai toutes les propriétés d'un héros de tragédie, toujours en danger, toujours prêt à périr. 11 faut espérer que la péripétie arrivera, et, pourvu que la fin de la pièce soit heureuse, on oubliera volontiers le passé. Patience donc, mon cher, jusqu'au 20 février; peut-être pourrai-je alors vous consoler, vous restaurer, vous conforter, vous ranimer et vous rendre l'espérance. Adieu, mon cher; je vous embrasse.