213. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 23 janvier 1762.a
Sire,
Votre dernière lettre a augmenté mon inquiétude, et les embarras dont je vous vois, pour ainsi dire, accablé me font craindre qu'à la fin votre santé ne s'altère entièrement; mais la nouvelle que vous aurez reçue sans doute peu d'heures après que vous avez écrit la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer vous aura convaincu que la fortune changera à la fin ses rigueurs, et qu'elle vous favorisera avec autant de gloire qu'elle l'a fait autrefois. Enfin, voilà dans l'empire de Pluton quelqu'unb qui n'en reviendra plus pour augmenter le feu de la discorde. Cette nouvelle nous a tous surpris d'autant plus, qu'aucun de nous ne s'y attendait; on l'avait débitée tant de fois faussement, qu'on croyait, quand on l'apprit ici, que c'était un conte.
Le général Seydlitz a fait deux mille prisonniers dans la dernière affaire qu'il a eue avec l'armée de l'Empire; cela vaut mieux que des prisonniers autrichiens, puisque c'est presque autant de recrues que de prisonniers.
Il y avait longtemps que je soupçonnais les horreurs et les perfidies dont me parle V. M.; mais enfin, quand les maux qu'on a voulu nous faire n'ont pas eu lieu, il faut ne s'en affliger qu'autant qu'on aurait à les craindre pour l'avenir, et je vois les choses dans une situation où il est impossible que la mauvaise volonté de certaines gens puisse avoir lieu, du moins pour le présent.
J'ai fait une grande marque à mon almanach au jour que V. M. m'a fait la grâce de m'annoncer, et que je ne pensais pas encore si prochain. J'ai eu l'honneur de le dire souvent à V. M., tout ira bien à la fin, pourvu qu'elle jouisse d'une bonne santé, et qu'elle puisse agir.
V. M. saura sans doute que les Français doivent avoir remis, le 6 de décembre, Port-Mahon entre les mains des Espagnols.
a Berlin, 22 janvier 1762. (Variante des Œuvres posthumes, t. XIII, p. 232.)
b L'impératrice Élisabeth de Russie, morte le 5 janvier 1762. Voyez t. V, p. 174, et t. XIV, p. 199.