<324>vous confesse, mon cher marquis, les sentiments de mon cœur. Je pourrais vous citer l'autorité d'un géomètre qui dit que la dernière passion qui reste au sage est celle de la gloire; mais je n'aime point à citer; de plus, je ne suis pas assez sage pour pouvoir m'appliquer cet apophthegme. Je vous avoue donc naturellement que les nouvelles que j'ai reçues et la carrière de prospérité dans laquelle je suis prêt d'entrer me font plaisir. Je ne m'étonne point que nos bons Berlinois se soient fort réjouis; ils sont intéressés dans ces paix autant que moi, qui les ai signées. Ils n'auront plus à craindre les Tottleben, les Czernichew, les Lacy, ni les Cosaques; c'est un grand article pour vivre tranquillement. Il nous faut encore, à cette heure, un peu d'onguent pour la brûlure, et contre vent et marée nous regagnerons le port. Je ne finirais point, si je vous débitais toutes les réflexions que ces événements me fournissent sur l'incertitude des contingents futurs et sur les laborieuses visions des politiques. Mais je n'ai prétendu que vous réjouir par de bonnes nouvelles, et je n'irai pas vous ennuyer par un plus long bavardage. Adieu donc, mon cher marquis; que le ciel vous bénisse et vous conserve, pour que je vous retrouve sain, gai, dispos et content. Je vous embrasse.
247. DU MARQUIS D'ARGENS.
Potsdam. 2 juin 1762.
Sire,
Si vos courriers se sont fait autant attendre que le Messie, ils ont produit de plus grands effets; il fallut au Messie et à ses disciples quatre siècles pour amener au christianisme un empereur romain, et il ne vous faudra que quatre mois pour ramener à la raison une impératrice. C'est bien un autre miracle de rendre une femme raisonnable que de baptiser un prince qui cherchait à se faire un parti, parmi les chrétiens, qui pût le garantir de ses