<335>tuation gênante, difficile et délicate. Je suis la toupie de la fortune, elle se moque de moi. Nous avons pris aujourd'hui mille hommes et quatorze canons; cela ne décide de rien, et tout ce qui ne décide pas augmente mon embarras. Je crois bien que beaucoup de choses vont de travers à Berlin et autre part. Mais que voulez-vous que je vous dise? Le destin qui mène tout est plus fort que moi; je suis obligé de lui obéir. J'ai le chagrin dans le cœur, mon embarras est des plus grands; mais que faire? Prendre patience. Si je vous écris aujourd'hui une sotte lettre, prenez-vous-en à la politique; j'en suis si las, que, si une fois je pouvais trouver la fin de cette malheureuse guerre, je crois que je renoncerais au monde. Adieu, mon cher; je vous embrasse.
256. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 27 juillet 1762.
Sire,
Lorsque j'ai eu l'honneur de recevoir votre dernière lettre, je savais depuis quatre jours l'événement arrivé en Russie. Comment est-il possible qu'on n'ait pu ni le prévoir ni l'empêcher dans le temps que tout semblait se réunir pour montrer qu'on devait s'y attendre? La façon dont pensaient les Russes qui passaient par Berlin, les discours du ministre de Russie à la Haye, les lettres qui venaient de Pétersbourg, tout cela présageait ce triste événement. Il y a six semaines qu'un ministre étranger à la cour de Russie écrivit ici à un ministre bien intentionné pour vos intérêts tout ce qui est arrivé; il lui prédisait qu'on verrait bientôt, si l'on n'y prenait garde, ce qui n'a été que trop effectué. Ayant vu cette lettre, je conseillai à ce ministre de parler au comte de Finck, et il l'avertit de ce qu'on lui mandait. Malheureusement cet avis n'a servi de rien. Si V. M. se rappelle ma dernière lettre, elle verra actuellement que les craintes que je lui témoignai, et que j'exprimai à mots couverts, n'étaient que trop