<361>L'Europe tout en feu va se bouleverser;
Parmi ces chocs affreux comment peut-on penser?
De tant d'événements le cours prompt et rapide
M'entraîne vers Bellone, en m'éloignant d'Euclide;
Dans l'agitation de ce flux et reflux,
Il faut rendre le calme à mes sens éperdus.
Vous direz, rappelant un exemple à votre aide,
Qu'on vit à Syracuse un certain Archimède,
Tandis que Métellusa et la fleur des Romains
Sur ces murs écroulés se frayaient des chemins,
Qui, demeurant tranquille et maître de lui-même,
Au fond de son jardin résolvait un problème.
J'estimerais bien plus ce sage indifférent,
Si, chargé de la ville et du commandement,
Accablé de travaux, rempli d'inquiétudes,
Il eût, malgré ces soins, pu suivre ses études.
Moi, dont l'esprit pesant et peu développé
Par un objet unique est longtemps occupé,
Il faut, pour qu'en détail ma raison le digère,
Ne la point surcharger de plus d'une matière.
Je n'ai point, en naissant, eu des bienfaits du ciel
Un génie étendu, sublime, universel;
C'est pourquoi prudemment je me borne et resserre
Dans les confins marqués de mon étroite sphère.
Vous, formé, né, mûri sous le ciel provençal,
Loin des sombres frimas d'un climat glacial,
Doué d'un esprit vaste, ingénieux, facile,
Vous nous supposez tous pétris de même argile,
Et croyez comme vous que nous nous élevons
D'un vol audacieux aux hautes régions.
Non, marquis, les esprits n'ont pas la même trempe;
Si l'un peut s'élever, le plus grand nombre rampe;
Pour un Jules César quel nombre de Varus!
Et contre un seul Virgile il est cent Mévius.
Des dons les plus exquis la nature est avare,
Le médiocre abonde et l'excellent est rare.
Conservez les beaux dons qui vous sont départis.
Grand nombre de mortels, sous les sens abrutis,
Végètent beaucoup plus qu'ils ne pensent et vivent,
Et sans réflexions leurs jours vides se suivent;
L'image qu'imprima sur eux le Créateur
Du temps qui ronge tout sent le bras destructeur.
a Marcellus. Voyez t. XII, p. 260.