<43>J'espère que V. M. ne condamnera pas ce petit adoucissement, puisque son ministre me paraissait dans une véritable peine.

Nous avons été ici, Sire, dans une douleur inconcevable, M. Fredersdorf et moi, sur des lettres venues de Berlin, qui disaient que vous aviez été blessé dans une embuscade, et qui assuraient que vous étiez prisonnier. Ces nouvelles étaient assez bien circonstanciées pour nous jeter dans le désespoir. Nous avons d'abord envoyé à Berlin pour aller à la source, et, après sept heures de souffrances, nous avons appris que tout ce qu'on nous avait raconté, et même écrit, n'était qu'un tissu de mensonges. V. M. permettra que, à l'occasion de ces fabricateurs de mauvaises nouvelles, je lui rapporte un bon mot de M. Mitchell, envoyé d'Angleterre : « On voit, a-t-il dit, des jacobites à Berlin, et il n'y a point de prétendant; cela est singulier. »a J'ai, etc.

35. AU MARQUIS D'ARGENS.

Leitmeritz, juin 1757.

Souvenez-vous, mon cher marquis, que l'homme est plus sensible que raisonnable.a J'ai lu et relu le troisième chant de Lucrèce;b mais je n'y ai trouvé que la nécessité du mal et l'inutilité du remède. La ressource de ma douleur est dans le travail journalier que je suis obligé de faire, et dans les continuelles dissipations que me fournit le nombre de mes ennemis. Si j'avais été tué à Kolin, je serais à présent dans un port où je ne craindrais plus les orages. Il faut que je navigue encore sur cette mer orageuse, jusqu'à ce qu'un petit coin de terre me procure le bien que je n'ai pu trouver dans ce monde-ci. Adieu, mon cher; je


a Le bon mot de sir Andrew Mitchell (t. XII, p. 224) rapporté ici fait allusion au feld-maréchal Keith, au major John Grant et à mylord Tyrconnel, ambassadeur français à la cour de Berlin.

a Voyez t. XIV, p. 73, t. XVII, p. 173, et t. XVIII, p. 181 et 208.

b Voyez, t. X, p. 226.