<60>fait imprimer : « Poëme par le sieur de Voltaire, dédié au roi de Prusse. » Ce qui m'afflige le plus, c'est que, malgré tant de sujets de me plaindre, je suis obligé de me taire, de dissimuler et d'attendre la paix pour ravoir ce qui me revient, et surtout le bien de ma mère, qui a quatre-vingts ans passés. Mais je puis protester à V. M. que, si j'avais le malheur de la perdre, j'aimerais mieux être privé de tout ce que j'ai dans le monde que de vivre dans un pays où de pareilles indignités sont autorisées. Si j'avais vingt ans de moins, je demanderais à V. M. la permission de faire la campagne dans l'armée du prince Ferdinand. J'ai l'honneur, etc.
51. AU MARQUIS D'ARGENS.
Rohnstock, 27 mars 1759.
Malheur et embarras d'autrui n'est que songe, mon cher marquis. Des cent mille hommes ne prennent guère de terrain sur le papier; mais, lorsqu'il faut les combattre, que leur nombre vous presse de tous les côtés, qu'il y a dix projets également dangereux auxquels il faut s'opposer sans en avoir le moyen, courir avec des armées d'un bout du monde à l'autre, enfin recourir à toutes les ruses et les tours d'adresse imaginables pour se soutenir, alors, dis-je, l'on sent tout le faix qu'il faut porter, et il faut convenir que, sans quelque heureux hasard, il n'y a plus moyen de se tirer d'affaire. Que les Français fassent des sottises, qu'ils manquent d'argent, il n'en faut pas moins soutenir les hasards de cette campagne, et elle peut être funeste. C'est un objet de huit mois, une cruelle besogne où le chapitre des incidents a souvent plus de part que l'habileté des hommes. Je vous rends grâce des offres que vous me faites. Quelque plaisir que cela me fît de vous voir, j'y renonce, parce que la malheureuse vie que je mène n'est pas faite pour vous, et que je ne veux point vous exposer.
Le ministère de France me hait très-fort. Il me persécute