<67>avait la complaisance de placer un tas de jeunes étourdis dans sa capitale. Je n'en ai, grâce au ciel, pas vu un seul pendant tout le séjour qu'ils ont fait dans cette ville. Dieu les maintienne en joie à Spandow! Tout ce que je puis dire à V. M., c'est que nous n'entendrons plus à chaque instant quelque nouvelle qui n'avait aucune réalité, et qui pourtant ne laissait pas que d'inquiéter pendant deux ou trois jours tous les honnêtes gens de Berlin. J'ai l'honneur, etc.
56. AU MARQUIS D'ARGENS.
(Landeshut) 12 mai 1759.
Bravo! bravo! mon cher marquis, vous vous escrimez à merveille, vous avez l'éloquence orientale des Hébreux, vous persuadez par de bonnes raisons, et vous condamnez ceux qui me disent des sottises. Que ne vous dois-je point! Votre plume est une épée tranchante qui coupe et perce mes ennemis. Ces ennemis me donnent bien de la besogne; mais je vous assure que j'agis avec une prudence et une vigilance admirable. J'ai passé toute la nuit en embuscade, et je n'ai rien pris. Peut-être la fortune me favorisera-t-elle une autre fois. Daun est entre Marklissa et Lauban.a Dès qu'il voudra pénétrer sérieusement en Silésie, nous en viendrons aux mains, et cette journée décidera de beaucoup. Ne me grondez point si j'en reviens toujours à mes moutons. Cela m'occupe si fort, comme de raison, que l'application avec laquelle je traite mes manœuvres absorbe toute la capacité de mon esprit. Je ne lis plus que Lucrèce et vos lettres. Ma machine commence à se détraquer très-fort; mon corps est usé, mon esprit s'éteint, et mes forces m'abandonnent. Mais l'honneur parle, il me fait penser et agir. Je fais une campagne défensive qui ne plaira point à nos ennemis. J'attends mon moment, et alors j'userai du peu d'huile qui reste encore dans ma lampe.
a Voyez t. XV, p. 129-131.