59. DU MARQUIS D'ARGENS.
Berlin, 17 mai 1759.
Sire,
Je n'ai jamais rien lu d'aussi plaisant que votre Bref du pape et votre Lettre du prince de Soubise; je suis persuadé que les ennemis mêmes de V. M. seront forcés d'avouer qu'on ne peut rien voir de plus ingénieux.
J'ai changé le plan de mon ouvrage, et le titre. Je prendrai celui-ci, qui me paraît plus intéressant et plus conforme à mon idée : Mémoires de l'Académie des nouvellistes du café de Saint-James. Je feindrai que quelques Anglais ont formé une société dans laquelle chacun est obligé de lire à toutes les assemblées quelques pièces politiques. Voilà le moyen de placer à chaque séance de la prétendue Académie toutes les satires que je voudrai. Le titre de mon ouvrage me fournira encore l'occasion de tourner bien des choses en ridicule; et je tâcherai de faire un livre qui soit assez intéressant pour être lu même à la fin de la guerre, et lorsqu'il aura perdu le prix de la nouveauté. Enfin, Sire, si vous voulez bien m'aider et faire valoir mon projet en m'envoyant ce que vous ferez dans vos moments de loisir, je suis assuré que mon ouvrage réussira. Je compte d'en envoyer dans sept ou huit jours à V. M. la première partie imprimée.
Le Bref du pape m'a paru si plaisant, que je le traduirai en latin, et je le ferai imprimer en deux colonnes, le latin d'un côté et le français de l'autre, ce qui lui donnera encore un plus grand air de vraisemblance, parce que tous les brefs du pape sont toujours en latin lorsqu'ils sont adressés à la cour impériale ou aux ministres de cette cour.
Dans le moment que j'ai l'honneur d'écrire à V. M., le bruit se répand dans la ville que le prince Henri est entré dans Nuremberg, et que V. M. a repoussé et battu un gros corps d'Autrichiens. Je suis persuadé, Sire, que vous ferez dans cette campagne tout ce qu'il faut pour vaincre vos ennemis de tous les côtés, et je ne doute pas d'avoir le bonheur de vous revoir tranquille à Potsdam, à la fin de cette année, comblé de gloire et