AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE MARQUIS D'ARGENS. (19 mai 1741 - 7 juillet 1769.)
Jean-Baptiste de Boyer, marquis d'Argens, naquit le 24 juin 1704, à Aix en Provence. Son père le destinait à la magistrature, mais il préféra la carrière des armes. Il n'y avait pas longtemps qu'il était au service, lorsqu'il fut envoyé à Constantinople avec l'ambassadeur de France. A son retour, il entra au régiment de Richelieu, et fit, en qualité de capitaine, toute la campagne de Philippsbourg, en 1734. Il quitta l'armée après la campagne, à cause de ses infirmités et d'une chute qui le mettait hors d'état de servir. Déshérité par son père, il se fit auteur pour vivre. En 1741, il vint à Berlin,I-a où son amabilité lui valut bientôt les distinctions les plus flatteuses. La droiture de son cœur lui mérita l'entière confiance du Roi, qui le nomma chambellan et directeur de la classe des belles-lettres dans l'Académie <X>des sciences; il lui conféra aussi pour quelque temps la direction des spectacles de Berlin. Le marquis d'Argens, honoré de toute l'amitié de Frédéric pendant la guerre de sept ans, exprime souvent dans ses lettres la vive satisfaction que lui faisait éprouver cette haute faveur, manifestée à plusieurs reprises de la manière la plus gracieuse.II-a Après la paix, cependant, l'hypocondrie du marquis et les propos railleurs du Roi refroidirent insensiblement cette intimité, à laquelle le monarque et son ami avaient dû tant de soulagement dans leurs chagrins. Le marquis d'Argens finit par retourner dans son pays en 1768. Mais le sincère attachement qu'il avait pour le Roi fit bientôt renaître en lui le désir d'achever ses jours à Potsdam.II-b Malheureusement ses maladies l'en empêchèrent, et il mourut à Toulon le 12 janvier 1771. Il avait épousé, le 21 janvier 1749, mademoiselle Barbe Cochois, artiste du théâtre français de Berlin, citée quelquefois dans les Œuvres de Frédéric sous le nom de Babet, et il en avait eu une fille, qu'il déclara son unique enfant légitime le 18 décembre 1769. Il l'avait élevée jusqu'alors dans sa maison sous le nom de sa fille adoptive. Frédéric était fort attaché au marquis, et lui érigea un mausoléeII-c dans l'église des Minimes, à Aix; mais la correspondance du Roi avec cet ami, témoignage éclatant de leur intimité, sera toujours le plus bel hommage rendu à son caractère aussi noble que pur. Frédéric a aussi adressé au marquis d'Argens un plus grand nombre de poésies qu'à aucune autre personne, si l'on en excepte Voltaire, surtout dans les dangers et les soucis de la guerre de sept ans.II-d
<XI>Une grande partie de la correspondance de Frédéric avec le marquis d'Argens a été imprimée dans les Œuvres posthumes de Frédéric II. A Berlin, 1788. Le t. X contient, p. 197-348, soixante-quinze lettres du Roi au marquis, dont quarante et une sans date, et dans le plus grand désordre; la soixante-deuxième lettre, sans date, pages 324 et 325, adressée en réalité au comte Algarotti,III-a est tout à fait étrangère à cette collection. Le treizième volume se compose de cent vingt et une lettres du marquis au Roi. Les éditeurs ont ajouté au douzième volume, p. 313-316, une lettre de madame d'Argens au Roi, du 19 mars 1771, et ils ont donné dans le Supplément aux Œuvres posthumes, t. III, p. 6. la lettre de Frédéric au marquis, du 31 décembre 1767, que Frédéric Nicolaï avait le premier publiée dans les Anekdoten von König Friedrich II, cahier I, p. 30.
La traduction allemande des Œuvres posthumes donne en deux volumes toute la correspondance de Frédéric avec M. d'Argens. Dans le t. X, p. 235-381, elle présente les soixante-quinze lettres du RoiIII-b d'après l'édition originale, en insérant à leurs places respectives les lettres non datées, la lettre du Supplément (no 78), et les deux Lettres en vers et prose (nos 69 et 73) du t. III, p. 48 et 51 des Œuvres posthumes; enfin, elle ajoute à deux d'entre elles (nos 19 et 68) les vers y appartenants, imprimés au t. VII, p. 3 et 293 des Œuvres posthumes. Le treizième volume de la traduction renferme les cent vingt et une lettres du marquis d'Argens au Roi; enfin, on trouve, p. 308-311 du même volume, la lettre de madame d'Argens, du 19 mars 1771.
<XII>Dix ans après la publication des Œuvres posthumes parut la Correspondanceentre Frédéric II, roi de Prusse, et le marquis d'Argens, avec les Épîtres du Roi au marquis. Königsberg et Paris, 1798, deux tomes en un volume de cinq cent quatre-vingt-deux pages. L'éditeur anonyme, en possession de cinquante-neuf lettres originales et inédites du Roi,IV-a qui lui avaient été cédées par M. de Magallon, petit-fils du marquis d'Argens et officier au régiment de Schöning (no 11), à Königsberg, forma cette collection de deux cent cinquante-neuf lettres,IV-b y compris les trois qui furent échangées entre Frédéric et la veuve du marquis d'Argens. Il fit un seul tout des lettres tant anciennes que nouvelles, en observant l'ordre chronologique et en faisant suivre les lettres de leurs réponses. De plus, à l'exemple de la traduction allemande des Œuvres posthumes, il ajouta à sa collection, sous les numéros 207 et 220, deux lettresIV-c omises dans le dixième volume de l'édition de 1788 et imprimées t. VIII, p. 48 et 51; mais il ne les marqua pas d'un astérisque. Enfin, il ajouta aux numéros 82 et 205 les vers y appartenants, copiés sur la même édition, t. VII, p. 3 et 293, et que les éditeurs de Berlin avaient également omis dans leur dixième volume. Les dix-sept Épîtres du Roi au marquis, ajoutées par l'éditeur à la fin de la Correspondance, t. II, p. 513-582, sont tirées des tomes VII et VIII des Œuvres posthumes. Ce sont celles que nous avons données dans les tomes XII et XIII de notre édition,IV-d avec les quatre autres Lettres en vers et prose que le Roi avait aussi admises dans le second recueil de ses poésies.IV-e
<XIII>Tout en tirant parti de l'édition de Königsberg et Paris, nous avons l'avantage de pouvoir y ajouter une quantité de lettres inédites et fort intéressantes. Cinquante-neuf de ces nouvelles lettres sont conservées aux archives royales du Cabinet;V-a elles se rapportent, pour la plupart, à l'époque critique de la guerre de sept ans, où Frédéric, au milieu des désastres qui l'accablaient, avait presque perdu tout espoir, et ne retrouvait que dans l'amitié et la poésie le calme et la force nécessaires pour ne pas succomber à ses peines. Ces lettres sont une des plus belles parties de sa correspondance familière. Nous avons tiré, de plus, une lettre du marquis d'Argens au Roi, du 3 juin 1742, de l'ouvrage de König : Historische Schilderung der Residenzstadt Berlin, t. V, vol. II, p. 127; nous avons trouvé le manuscrit d'une autre lettre du marquis au Roi, no 202, du 28 juin 1762, parmi les autographes de la Bibliothèque royale de Berlin. Le post-scriptum du marquis, du 19 juillet 1763, a été copié sur l'autographe, qui appartient à un particulier de Berlin. Nous avons complété la lettre du marquis, du 27 septembre 1747, au moyen du dernier alinéa, tiré de la Prusse littéraire sous Frédéric II, par M. l'abbé Denina; pour la lettre de Frédéric, du 27 août 1760, prise par les Cosaques dans la nuit du 7 au 8 septembre 1760, à Herrnstadt en Silésie, nous avons collationné le texte des Œuvres posthumes, t. X, p. 216-219, avec la copie imprimée sur l'autographe dans la Correspondance de M. le marquis de Montalembert, étant employé par le roi de France à l'armée russe, pendant les campagnes de 1759 et 1760, Londres, 1777, t. II, p. 278-280. Enfin, la lettre du marquis imprimée, en allemand, dans les Anekdoten von Friedrich II, publiées par Fr. Nicolaï, cahier I, p. 72, et, traduite en français, dans la Vie de Frédéric II (par de la Veaux), t. VI, p. 279, n'est qu'un extrait de la lettre no 314 de notre édition, du 26 septembre 1768.
<XIV>Notre édition de la correspondance de Frédéric avec le marquis d'Argens contient donc trois cent dix-sept pièces, dont cent quatre-vingt-une de Frédéric; plus, deux lettres du Roi à la marquise douairière d'Argens, et une de celle-ci au Roi.
Les huit Lettres en vers et prose que l'Auteur avait admises dans ses Poésies (posthumes), soit les poésies seules, soit les lettres entières, sont imprimées dans ce volume telles que le Roi les avait envoyées à M. d'Argens. Ce sont les numéros 88, 97, 110, 118, 127, 260, 262 et 273 de ce volume, qu'on retrouve t. XII, p. 132 et 141, t. XIII, p. 59, t. XII, p. 157, 180, 159, 260 et 258.
La partie la plus essentielle de la correspondance avec le marquis d'Argens, c'est-à-dire celle qui roule sur les traverses de la guerre de sept ans, est le pendant des correspondances de Frédéric avec MM. Jordan, Algarotti et Duhan pendant les deux premières guerres de Silésie, qui furent heureuses. Ces lettres de Frédéric et de son intime et digne ami, ajoutées aux poésies et aux facéties de la même époque, sont aussi un incomparable commentaire psychologique de son Histoire de cette période glorieuse pour lui et pour la monarchie prussienne.
Nous avons fait notre possible pour rehausser la richesse de cette précieuse collection par une exacte ordonnance des lettres non datées par le Roi, ou mal classées par les anciens éditeurs.
Quant à la lettre qui se trouve en tête de notre collection, nous n'en avons qu'une copie de la main de M. Eichel, conseiller de Cabinet, datée du quartier général de Selowitz, 19 mai 1741. Mais Frédéric était dans ce temps-là en Silésie, et nous présumons qu'il faut lire : 19 mars 1742, le quartier général du Roi s'étant trouvé à Selowitz du 13 mars 1742 au 5 avril suivant.
En ce qui concerne le sort des manuscrits de la correspondance de Frédéric avec le marquis d'Argens, on peut consulter la lettre de celui-ci au Roi, du 26 septembre 1768, et celle que le Roi écrivit à la veuve de son ami le 6 février 1771.
Le nom du marquis d'Argens a été souvent cité dans les précédents volumes de notre édition. On trouvera de plus amples détails <XV>sur ses relations avec le Roi dans l'Histoire de l'esprit humain, par le marquis d'Argens, A Berlin, 1768, t. XII, p. 379-380, et dans l'ouvrage de J.-D.-E. Preuss : Friedrich der Grosse mit seinen Vewandten und Freunden, p. 123, 124 et 318-324.
Nous ajoutons à ce volume une Table chronologique générale des lettres dont se compose la correspondance de Frédéric avec le marquis d'Argens, ainsi que le fac-similé de la lettre de Frédéric au marquis, de Rohnstock, 27 mars 1759.
Berlin, ce 19 novembre 1850.
J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.
I-a Frédéric dit dans sa lettre à Jordan, de son quartier général de Selowitz, 17 mars 1742 : « Marquez-moi quel est le marquis d'Argens, s'il a cet esprit inquiet et volage de sa nation, s'il plaît, en un mot, si Jordan l'approuve. » Voyez t. XVII, p. 172, 180, 197, 202, 203, 218, 224, 225, 228, 271, 279 et 280.
II-a Voyez ci-dessous, p. e. p. 240, 264, 265 et 423.
II-b Voyez la dernière lettre de Frédéric au marquis d'Argens, du 7 juillet 1769, et les Anekdoten von Friedrich II, publiées par Frédéric Nicolaï, cahier I, p. 75, et cahier VI, p. 227.
II-c Frédéric écrit au baron de Grimm, le 16 décembre 1783; « Il est vrai que j'ai fait ériger des monuments à Algarotti et à d'Argens, que j'avais beaucoup aimés, et qui avaient vécu longtemps chez moi » Voyez aussi la lettre de d'Alembert à Frédéric, du 15 décembre 1775, et ci-dessous, p. 482.
II-d Voyez t. X, p. 101; t. XI, p. 49; t. XII, p. 56, 98, 117, 132, 141, 151, 157, 159, 166, 180, 185, 192, 255, 258; t. XIII, p. 47, 55, 59, 61, 66, 70, 76; et t. XIV, p. 135. Plusieurs de ces pièces sont badines ou satiriques, et il faut y ajouter les deux suivantes, assaisonnées de la plaisanterie la plus piquante : l'Éloge de la paresse, dédié au marquis d'Argens, 1768, et le Mandement de monseigneur l'évêque d'Aix, portant condamnation contre les ouvrages impies du nommé marquis d'Argens, et concluant à sa proscription du royaume, 1766. Voyez t. XV, p. 11-21, et p. 189-194.
III-a Voyez t. XVIII, p. 127, no 114.
III-b Le numéro 42 de cette collection, p. 308, est la lettre au comte Algarotti imprimée t. XVIII, p. 127 de notre édition.
IV-a Les cinquante-neuf lettres nouvelles sont marquées d'un astérisque dans cette édition de 1798. Ce sont dans la nôtre les numéros 2, 6, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 16, 18, 20, 28, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 44, 52, 56, 64, 71, 81, 92, 96, 144, 158, 160, 161, 169, 171, 174, 175, 178, 188, 190, 203, 205, 243, 246, 261, 264, 272, 279, 282, 289, 291, 293, 295, 301, 307, 309, 312, 313, 315, 317, et 1 et 3 de l'Appendice.
IV-b La lettre no 139 est celle au comte Algarotti dont nous avons déjà parlé.
IV-c Ce sont les numéros 262 et 273 de notre édition.
IV-d Voyez t. XIII, p. 61, 66, 70, 76; t. XII, p. 56, 98, 117, 132, 141, 151, 157, 166, 180, 185, 192; et t. XIII, p. 47 et 55.
IV-e Voyez t. XII, p. 159, 255 et 258; et t. XIII, p. 59.
V-a Ce sont les numéros 1, 4, 5, 7, 11, 15, 25, 27, 45, 46, 47, 49, 51, 54, 57, 58, 67, 68, 72, 77, 86, 88, 97, 104, 105, 106, 107, 108, 114, 115, 118, 122, 125, 127, 134, 156, 184, 185, 191, 192, 193, 195, 198, 200, 202, 208, 209, 210, 212, 215, 217, 220, 225, 276, 277, 297, 303, 314 et 316.